Les Secrets de la princesse de Cadignan
Retirée du monde à trente-six ans, en 1833 la princesse de Cadignan (Diane de Maufrigneuse avant la mort de son beau-père) est littéralement une croqueuse de fortunes et d’hommes. La liste de ses amants est interminable. Elle les a d’ailleurs réunis en album qu’elle présente à son amie la marquise d’Espard, seule personne avec laquelle elle a des relations. Dans un accès de confidence, les deux femmes s’avouent mutuellement n’avoir jamais rencontré un amour véritable, celui qui conviendrait à leur « innocence » fondamentale.
La marquise d’Espard propose alors à la princesse de lui faire rencontrer un phénomène : Daniel d'Arthez justement. D’Arthez est maintenant baron, il a hérité d’une fortune familiale qui pourrait le pousser à la prodigalité. Mais l’écrivain est resté aussi sérieux et frugal qu’il l’était à l’époque de sa grande misère, il continue de travailler à ses écrits, et il est l’objet d’amicales railleries de la part de Rastignac et Maxime de Trailles car il vit avec une femme vulgaire qu’il ne respecte pas. D’Arthez ne sait rien de l’amour raffiné des grandes dames, et pourtant il lui serait facile de séduire. Mais il y a en lui une timidité qui l’arrête. La princesse de Cadignan va donc entreprendre de séduire ce cœur pur en le noyant dans une avalanche de mensonges (ses secrets), d’où il ressort qu’elle a été victime de sa mère qui lui a fait épouser son amant, qu'elle a aimé des hommes qui n'étaient pas dignes d'elle. Bientôt séduit, subjugué, et pris dans les filets de la princesse pour laquelle Michel Chrestien, ami de d’Arthez, mourait littéralement d’amour, l’écrivain éprouve une passion sans bornes pour cette femme si habile. Le génie de la princesse consiste à réécrire sa vie, à présenter une version nouvelle de sa vie. Authentique romancière femme brillante, femme de trente ans elle va présenter à d'Arthez un mensonge vrai qui ne peut que convaincre l'artiste, le romancier qu'il est. L'enjeu est de taille : la princesse aime d'Arthez. Et pourtant c'est elle qui envoie en toute connaissance de cause son amant à un souper organisé par ses meilleurs amis dont l'intention évidente est d'éclairer le naïf artiste. D'Arthez va pourtant défendre à la face du monde ce "dom Juan femelle" et reviendra vers elle, l'ayant magistralement défendue. L'argumentation de D'Arthez frappe par sa justesse, il n'est pas un naïf : il révèle une princesse, femme libre et courageuse qu'il aime en dépit des codes moraux étroits de son temps : ses personnages réalisent alors un fantasme balzacien, celui du couple de la grande dame et de l'artiste. Ce dénouement explique la pirouette de la dernière phrase : Est-ce un dénouement ? Oui pour les gens d’esprit ; non pour ceux qui veulent tout savoir. On a vu là une allusion aux amours de Cordélia de Castellane avec Chateaubriand (D’Arthez est aussi homme d’État1)