Journal 1926-1934 : Les années faciles
Dans le no man's land de la vie privée des pays anglo-saxons, le Journal représente le tête-à-tête avec soi-même, le désir d'arrêter le soleil sur les événements de sa propre vie et tout ce que la bonne éducation ne fait pas dire étale ses secrets. La France, pays des Mémoires, préfère se raconter plus tard, arranger, polémiquer : la mémoire y est un miroir très biseauté ! Pendant longtemps le Journal était réservé aux voyageurs, mais là aussi, à qui se fier ? Chateaubriand décrit un pays à l'envers, une Italie baroque, en se reportant paresseusement à un Baedeker qui faisait le chemin en sens inverse...
Chez Julien Green, le Journal est chaque jour une réponse indiscrète aux questions indivisibles qu'on se pose à soi-même. Confidence, mémento, c'est un voyage le long d'une vie et l'auto-analyse, pour discrète qu'elle soit en bien des endroits, va loin et profond. Quand un homme se regarde, chacun voit par ses yeux, Adam est en chacun de nous.
Le premier tome s'intitule Les Années faciles : c'étaient les années de jeunesse, J'après-guerre ou plutôt l'avant-guerre, ce qui correspond dans le langage de chaque siècle au temps perdu que les aînés parent des couleurs de l'âge d'or et qu'on appelle tantôt la douceur de vivre, tantôt la belle époque... L'auteur voyage, lit, regarde et déjà les événements s'inscrivent dans l'Histoire, car Green n'en retient que les plus marquants pour lui ou les plus insolites, ceux auxquels plus tard on s'étonne de ne pas avoir pris garde comme d'avertissements. Ici c'est le krach financier américain, les premiers remous en Allemagne, les manifestations sociales encore sporadiques.
Mais le jeune romancier connaît déjà de très grands succès avec Léviathan, Adrienne Mesurat, ses premiers livres ou presque ; et dans le pays Green où il vous invite à voyager, il y a pour chacun une place, avec ses rêves et les questions primordiales de sa vie…
E.J.