Raisons de famille
Dans ce lâcher de souvenirs, Jacques Perret bat la campagne sans plus de méthode que pour ses Grands chevaux et dadas. Il paraît s'abandonner au caprice d'une mémoire qui va s'ébrouer dans l'espace et le temps au mépris de leur continuité raisonnable. Sans doute n'a-t-il pas prémédité ce genre d'itinéraire mais il ne rend pas les rênes autant qu'il en a l'air.
Le récit commence au 1er août 1914 et l'auteur y reviendra maintes fois en tenue de galopin dans la maison de vacances où la famille a constitué son haut lieu sous l'autorité d'un tendre aïeul. Il se terminera au cimetière militaire où gît le grand frère, tué sur la Somme en 1916. Quoique intermittent c'est le personnage le plus important : une vie brève et bienfaisante, une belle mort et désastreuse. Entre-temps, et quel que soit le sujet évoqué, le septuagénaire et l'enfant se passeront et repasseront la parole pour illustrer maintes scènes et figures dans l'histoire d'une parentèle vivante ou défunte, voire légendaire.
On ne saurait exiger, bien sûr, d'un tel récit la gaieté de bout en bout : mais les lecteurs de Jacques Perret le reconnaîtront au moins ici et là dans l'exercice de ses divertissements favoris, petits jeux de parenthèses, facéties de plume, bravades, malices, fougues et jubilations. En fin de compte il nous laisse un témoignage de gentillesse et de gratitude pour son milieu natal : une bourgeoisie fidèle à ses défauts, invétérée dans ses vertus, et se croyant, avec ça, libérale. Ce n'est donc, avouons-le, pas le moment de la renier. Ainsi bardé de raisons de famille, l'auteur consolide à plaisir sa réputation de gentilhomme d’Ancien Régime et voltigeur sentimental.