Biftons de prison
Le 17 septembre 1937, à Alger, une petite fille qui venait de naître fut déposée à l'Assistance publique : on l'appela Albertine Damien. L'enfant eut au moins deux nourrices successives avant d'être adoptée, à deux ans, par un couple âgé, qui lui donna son nom : elle devenait Anne-Marie R... Remarquablement intelligente et volontaire, la petite fille fit des études brillantes mais donna du fil à retordre à ses éducateurs qui prirent le parti de la faire enfermer au Bon Pasteur de Marseille. Evadée le jour de son oral de baccalauréat, Albertine gagne Paris en stop, et mène une vie peu recommandable jusqu'au jour où, une amie l'ayant rejointe, elle décide d'en finir avec la prostitution, et risque un hold-up, qui échoue. Les deux jeunes filles sont condamnées aux assises, et Albertine, après un séjour à Fresnes, est transférée à la prison-école de Doullens. C'est de là qu'elle s'évadera, le 19 avril 1957, sautant d'une muraille, et se cassant l'astragale. Un passant la secourt, la cache, la soigne : c'est Julien Sarrazin, qui l'épousera deux ans plus tard. Mariés, Albertine et Julien vivront très peu ensemble, car la prison les reprend périodiquement : huit ans en tout pour elle, et plus de dix-huit ans pour lui. Enfermée, Albertine écrit deux romans, La Cavale, L'Astragale, qui, publiés tous deux à l'automne 1965, connaissent immédiatement un énorme succès. Libres et célèbres, Albertine et Julien ne seront pas heureux longtemps : le 10 juillet 1967, l'écrivaine meurt sur une table d'opération, à Montpellier. Son mari entreprend alors un long procès contre les médecins coupables de négligences graves: il gagne ce procès, et fonde une maison d'éditions pour publier les inédits de sa femme. L'oeuvre d'Albertine Sarrazin a inspiré après sa mort de nombreux travaux critiques et des thèses en France et à l'étranger : l'enfant abandonnée est aujourd'hui regardée comme un pur écrivain classique.