Montaigne, Âme Libre
On sait peu que Virginia Woolf fut une voyageuse passionnée qui concevait ses échappées comme des occasions de découvrir des paysages, des sensations mais aussi des auteurs. Elle traversa ainsi la France, et son fameux journal témoigne de son passage en 1931 en Périgord où , à l'instar de T.E. Lawrence elle visite avec émotion la tour d'un philosophe qu'elle lit depuis longtemps, Montaigne. Elle lui a d'ailleurs consacré , dans son recueil d'articles sur ses plaisirs de lectrice - elle s'y adresse a ceux qui lisent «pour leur plaisir» sans leur «dispenser son savoir ou corriger l'opinion des autres» - un court essai inspiré qui lui permet d'exprimer sa familiarité avec l'auteur du XVIe siècle. Et c est en toute simplicité qu elle s'intéresse à la figure de l'écrivain bordelais et à son art de décrire l'âme humaine. Exercice difficile s'il en est, tant notre vie intérieure diffère de ce qui se passe autour de nous, et, à la Renaissance comme aujourd'hui, être soi-même rélèverait presque de l'exploit. Virginia ausculte la façon si particulière qu'avait Montaigne de composer son autoportrait en sondant son âme, et invite son lecteur, par l'introspection, à le suivre pour comprendre la conscience humaine. D'une magnifique actualité , ce court texte est une exhortation à s'intéresser à l'autre et à dévoiler notre âme, car il est, pour Woolf, « de notre devoir de partager, de plonger courageusement en nous-même et d'amener à la lumière ces pensées cachées qui sont les plus morbides ». Ainsi, assistant avec elle au « spectacle passionnant d'une âme vivant à découvert », c'est à notre tour de nous interroger : « Que sais-je ? ». Une passionnante rencontre entre deux univers littéraires qui se croisent.