Journal
Virginia Woolf dont l'image a été si souvent dénaturée, exploitée, au profit de tant de causes, nous apparaît enfin, avec ce premier volume de son Journal intégral, dans sa seule vérité. Il ne s'agit cependant pas d'un "journal de l'âme" qui la montrerait telle qu'en elle-même, mais de celui révélateur et irréfutable de la vie quotidienne.
Ainsi, au lieu du monstre sacré du Journal d'un écrivain, textes exclusivement littéraires tronqués et arrachés au journal intégral à une époque où il n'était pas encore publiable dans sa totalité (et que l'on retrouvera incorporés ici à leur véritable place, c'est-à-dire dans une plus juste perspective) nous découvrons une femme primesautière, pleine d'humour, chaleureuse, passionnée par la vie, par l'amitié, par le spectacle de la nature. La voici se promenant sur les collines du Sussex ; à Londres avec sa soeur bohême et ses jeunes neveux, ou avec ses amis Lytton Strachey, Morgan Forster, Thomas Eliot, etc., ou faisant la connaissance de l'attirante mais hermétique Katherine Mansfield, sa soeur en écriture. La voici surtout avec Leonard, si différent d'elle mais si compréhensif et vigilant, en l'absence duquel elle "se sent comme une ville assiégée" et avec qui elle forme "le couple le plus heureux d'Angleterre".
Mais, de plus, à mesure que se dévoile cette nouvelle Virginia d'une candeur émouvante, le Journal commencé à titre d'essai, après plusieurs tentatives avortées, prend peu à peu sa forme propre, "un visage bien à lui", dira Virginia. Cette création spontanée, à laquelle le lecteur a comme l'impression de participer et où le génie de l'écriture éclate jusque dans les passages les moins étudiés, est d'une profonde originalité et aboutit à un chef-d'oeuvre du genre, fascinant, éblouissant.
Née le 26 mars 1878, Virginia Woolf s'est donné la mort le 28 mars 1941, plutôt que d'affronter la folie qu'elle "sentait venir avec certitude". Outre l'intégralité de son journal, les Editions Stock ont publié toute l'oeuvre romanesque de celle qui est considérée comme l'un des plus grands écrivains anglais de tous les temps.
Virginia Woolf a quinze ans lorsqu'elle trace les premières lignes de son Journal. Après de nombreuses interruptions, elle en reprend l'écriture en 1915, et le tiendra jusqu'à son suicide en 1941. C'est l'ensemble de cette période captivante que couvre ce volume alors que ressort parallèlement son journal d'adolescence. Durant plusieurs décennies, elle note jour après jour ses sentiments, ses illuminations. Avec sa finesse et son humour, un art unique du portrait, elle nous fait découvrir les évolutions sociales et les errements de son époque. Elle y évoque son enfance tout comme la situation politique internationale, des débuts de la Première Guerre mondiale à l'intensification des bombardements nazis sur Londres. Dans son Journal, Virginia commente ses lectures, élabore des théories critiques tout autant qu'elle confie ses projets littéraires, ses doutes, ses réflexions sur son travail d'écriture. Elle y inscrit les critiques des journaux ou les commentaires de ses amis sur son œuvre. Accueillant encore la voix de son mari Leonard, qui, par endroits, annote les cahiers. Certaines idées, certains projets de romans semblent naître de l'écriture même du Journal dont la lecture permet d'approcher la genèse et le sens intrinsèque avec une justesse incomparable.