Mon livre surprise

Trilogie tropicale T2 - La savane des pétrifications

Raphal Confiant

Trilogie tropicale - T2
La savane des pétrifications
101 pages
Popularité
Popularité du livre : faible
Notes
Note globale
★★★★★
★★★★★
3.67
Note personnelle
★★★★★
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Abel: le retour. Le double de Raphaël Confiant revient sur le devant de l'actualité. Homme de fidélités et de convictions, il n'a toujours pas rompu ses relations amoureuses et chaotiques avec sa "Juliette saint-domingoise", je veux nommer Anna-Maria de la Huerta. Quant à son alter et pas toujours ego, Victor Saint-Martineau, il est fidèle au poste. Un "écriveur", "une nymphomane au grand coeur" et un "mathématicien", le trio a plutôt fière allure.

Depuis Bassin des Ouragans, le triumvirat confiantesque a pris du corps en gardant intact son pouvoir d'indignation. L'énergie dégagée par cette triangulation humaine, si elle était maîtrisable et stockable, pourrait fournir de l'électricité à des millions de foyers et cela durant de nombreuses années. Mais autant le dire tout de suite, Confiant and Co. ne sont contrôlables par personne. Le monde tourne autour d'eux. Eux regardent le monde et pointent un doigt accusateur sur cette société bloquée, "pétrifiée", dans laquelle nous évoluons avec une certaine insouciance et, parfois, une indifférence coupable.

De la Martinique au "Tout-Monde", rien ou presque ne trouve grâce aux yeux d'Abel et de ses acolytes. Au Top 50 de leurs indignations : la télévision. Instrument d'abêtissement, elle serait à l'origine de la pétrification des idées. Ce phénomène de glaciation intellectuelle serait dû à une fluidité échevelée des images et à une mise en scène grand-guignolesque de l'actualité. Lorsque les paysages bosniaques deviennent des décors et que les enclaves musulmanes se transforment en plateaux de télévision, le show de 20 heures, surtout si le sang est fourni avec les accessoires, a toutes les chances de produire de la part de marché. Parfois le ridicule a de fâcheuses tendances à tuer.

La responsabilité mondiale de ce processus de "bêtification" irresponsable serait à mettre sur le compte d'un producteur en chef dont l'identité pourrait se résumer en trois lettres, CNN. Cette "World Company" dans sa version petit écran et grande domination, aurait plutôt tendance à agacer notre "écriveur". Le "Tout-Monde" labélisé CNN n'a rien à voir avec le "Tout-Monde" d'Edouard Glissant*. Entre l'un et l'autre, il y a un espace gigantesque allant de l'universalité à la diversalité. La géographie serait la même, seule l'histoire changerait.

Il n'en fallait pas beaucoup plus pour nous retrouver embarqués dans l'espace créole cher à Confiant et dans cette spirale de la créolité, sorte de religion séculière, où il fait figure de grand prêtre. Dans le rôle du Grand Satan, l'homme blanc. Celui qui depuis Christophe Colomb a donné tout son sens à la dialectique du Maître et de l'Esclave. Celui qui a perverti tout un univers. Celui qui a figé les esprits de ces hommes des îles, de ces oubliés de l'histoire, de ces "damnés de la terre" plantés face à leur lucarne voyant passer impuissant devant leurs yeux un monde dont ils sont exclus. Bien sûr, peut-on nous rétorquer, ils peuvent zapper. Seulement voilà, le programme est identique sur toutes les chaînes. C'est sans doute cela la fameuse pétrification. Un état de léthargie où les échanges sont statufiés et où la fameuse fracture sociale dans sa dimension internationale devient un leitmotiv lancinant.

Alors, ces hommes oubliés ont décidé, ou " peut être " a-t-on décidé pour eux, de se lancer dans une course effrénée, un marathon sans fin à la poursuite de ce monde moderne producteur de fantasmes et d'objets manufacturés, de culture américanisée ou francophonisée, d'un occidental way of life. Autant être clair, le podium a peu de chances de ressembler à celui d'un 100 mètres olympique où depuis quelque temps "l'homme blanc" n'a plus sa place. La photo aufinish de cette compétition, quelque peu particulière, est formelle : les athlètes, même s'ils franchissent les premiers la ligne d'arrivée, ne sont pas en tête. L'effet d'optique est pourtant étonnant, mais dans le sprint de l'histoire une musculature bien huilée n'a jamais fait recette.

Les issues de secours sont donc entravées. Que faire ? Où aller? Dans cette quête d'un bonheur introuvable, "l'homme noir" peut se lancer dans ce processus de "lactification" dont parle, et que dénonce, Frantz Fanon. Une sorte de mimétisme qui amène le Noir à singer les manières et les attitudes blanches. "Pour le Noir, écrit Fanon en le déplorant, il n'y a qu'un destin. Et il est Blanc. [...] Le Noir Antillais sera d'autant plus blanc, c'est-à-dire se rapprochera d'autant plus du véritable homme, qu'il aura fait sienne la langue française. Nous n 'ignorons pas que c'est là une des attitudes de l'homme en face de l'Etre. Un homme qui possède le langage possède par contrecoup le monde exprimé et impliqué par ce langage**." Raphaël Confiant aurait-il retenu cette leçon ? Lui dont le langage se refuse à entrer dans un carcan académique et à être assimilé à une littérature francophone qu'il rebaptise, avec mépris mais non sans un certain humour, "francocacophonie".

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