Mon livre surprise
Essai sur les moeurs et l'esprit des nations
Éditions Sociales "Les classiques du peuple", 2e trimestre 1975
Introduction et notes par Jacqueline Marchand, agrégée de l'Université.
Quel but Voltaire voulait-il atteindre quand il publia l’ « Essai sur l’histoire générale et sur les moeurs et l’esprit des nations depuis Charlemagne jusqu’à nos jours » ? (C’est le titre de 1756). L’Avant-propos s’adresse à Mme de Châtelet :
« Vous voulez enfin surmonter le dégoût que vous cause l’histoire moderne, et prendre une idée générale des nations qui habitent et qui désolent la terre. Vous ne cherchez dans cette immensité que ce qui mérite d’être connu de vous : l’esprit, les moeurs, les usages des nations principales, appuyés des faits qu’il n’est pas permis d’ignorer. »
Peut-être ces sentiments étaient-ils ceux de Mme du Châtelet ; à coup sûr ils étaient ceux de Vokltaire. On retrouve dans cette phrase liminaire deux des idées essentielles de Voltaire historien : le goût des idées générales, que les détails, ordinairement, étouffent, et la préférence donnée à l’esprit, aux moeurs, aux usages des nations sur l’histoire militaire et diplomatique. L’amertume de Voltaire au spectacle des sanglantes folies humaines apparaît aussi dans la formule : « les nations qui habitent et qui désolent la terre ».
Vient ensuite un essai original de perspective historique. Bossuet n’a dit qu’un mot des Arabes ; il a complètement négligé les Indiens et les Chinois. Voltaire tient à faire aux peuples d’Orient une large place, d’abord parce qu’il est historiquement vrai que leur histoire est des plus anciennes, ensuite parce qu’on rabat ainsi un peu de la superbe judéo-chrétienne : l’Orient, « berceau de tous les arts », a « tout donné » à l’occident. Dès 1739, Voltaire souligne le ridicule d’une histoire prétendûment universelle et qui, centrée sur le petit peuple juif, ignore des peuples anciens et immenses autant que ces peuples nous ignorent. C’est parce que la révélation et le respect de la Bible gouvernent toute sa pensée que Bossuet a négligé l’histoire de l’Orient ; mais c’est à ses maîtres jésuites que Voltaire doit d’avoir reconnu leur importance.
(extrait de l'introduction)