Un homme
La publication en français du Royaume, l’ambitieux projet de Gonçalo M. Tavares (Jérusalem a paru en 2008, et Apprendre à prier à l’ère de la technique en 2010), touche à sa fin avec la parution de ce roman - ou en serait-ce deux ? - Un homme : Klaus Klump et La Machine de Joseph Walser.
Construit en deux parties distinctes, il raconte les histoires de Klaus Klump et Joseph Walser. Même paysage, même temps, même centre : la guerre scande les jours, les tanks sont dans la rue, l’homme est retourné à son état primitif. Chaque citoyen connaît un nouveau quotidien, celui des tirs, des viols, des morts et de la violence anonyme. Les machines sont reines, la vie n’est plus, pas plus que la distinction entre le Bien et le Mal.
Klaus est éditeur. Les livres qu’il publie sont comme de petites bombes qu’il lance contre l’économie, la politique. Il sait que pour survivre en temps guerre, le mieux est de rester neutre, d’être lâche, donc... pourtant il entre en résistance. Joseph, quant à lui, travaille dans une usine et adore SA machine. La guerre ne semble pas l’atteindre. Jusqu’à ce qu’il soit victime de l’accident... Les deux protagonistes ne se connaissent pas, mais leurs destins se répondent, correspondent avec harmonie tout au long de ce roman qui se déploie comme une réflexion sur le sens de l’existence, l’Histoire, la dualité de l’être humain, capable du meilleur comme du pire.
L’écriture minimaliste de G.M.T., délestée de toute affectivité, intensifie la mise en abîme de l’attitude d’êtres humains confrontés à une situation extrême. Un regard désenchanté sur le monde qui nous donne à voir la réalité dans ce qu’elle a de plus terrible. Le lecteur est piqué au vif, pris au piège d’une spirale d’aphorismes et d’images d’une virtuosité inouïe. Envoûté, fasciné, il est traversé par un va-et-vient constant entre répulsion et fascination. Un tour de force réussi !