Super Etat
Bienvenue au mariage du fils du président de l'Union européenne, le Super Etat qui s'étend de l'Irlande à la Grèce et aux contreforts de l'Est. La mariée a été retenue sur l'Everest par une tempête mais une androïde la remplace avantageusement. (Un seul problème avec les androïdes, ils posent toujours trop de questions sur les humains. Ils sont bruyants, on doit les enfermer le soir dans les placards.) Malgré le printemps, le temps est orageux, mais c'est à cause du réchauffement de l'atmosphère ! Le père du marié est très excité par son projet de guerre contre ce petit pays musulman des confins de la Chine, c'est tellement amusant d'essayer des armes nouvelles !
Puis tout bascule : la banquise fond et un raz-de-marée engloutit toutes les côtes de l'Irlande à la Bretagne, la mariée, enlevée, s'amourache d'un terroriste, les Foudéments sèment la panique sur le Net tandis que l'expédition scientifique sur Jupiter trouve une forme de vie et, affamée, la mange. Un roman de vraie SF intelligent, prémonitoire, noir et drôle.
Ceux qui ont vu le film culte Rollerballde Norman Jewison (1975) se souviennent peut-être des dernières images, étranges et inquiétantes des superriches, désœuvrer et quelque peu décadents qui s'amusent à atomiser des arbres au pistolet laser (ou ce genre d'arme) à l'issue d'une party. Cela pourrait être chez ces personnes glamour que s'ouvre Super État ? L'Union européenne dans quarante ans de Brian Aldiss, après la dédicace "N'oublions jamais Aldous Huxley" (ce qui semble, soit dit en passant, difficile, car le Meilleur des mondes serait, d'après le spécialiste Jacques Goimard, le livre le plus vendu au monde). Suivant l'itinéraire d'une galerie de dominants d'une société à bout de souffle, Brian Aldiss tente de tracer le panorama de ce qui s'annonce être la chronique d'une fin du monde annoncée dans le glamour et le superficiel, au sein d'un monde en proie aux intégrismes, aux catastrophes écologiques et livré à la confusion des valeurs ou des repères sinon à la perte de sens dans les agissements. S'il n'est pas déplaisant, ce roman d'Aldiss n'est pas à la hauteur de l'ambition affichée. On s'étonnera ? pour une fois ? ainsi d'un certain manque de violence, d'une timidité politique (voire d'une minceur de vue), soit d'une faiblesse générale sur l'analyse sociale et économique (à moins que ce ne soit de l'humour ?) Le cyberpunk est passé par là bien plus tôt. Sur des sujets semblables, on se tournera, et avec plus de bonheur, vers Super Cannesde Ballard (pour le capitalisme mortifère, paranoïaque et autophage) et La Mère des tempêtesde John Barnes (pour, entre autres, le désastre écologique et les médias). Toutefois Aldiss, s'il se frotte à un thème qui ne permet pas d'évaluer ici son brio (lire : Le Cycle d'Helliconia), a un réel talent : les scènes, entre autres mondaines, tracent à merveille des personnages badinant en pleine déliquescence, en proie à un ennui d'exister. --Francis Mizio