Splendeur de la catastrophe
La peinture philosophique propose un monde, une vision du monde. Elle manifeste une subjectivité, un tempérament, un caractère. En un mot : un Style. Un grand style si possible. Elle crée un univers et une façon de le dire. Au milieu des indigences généralisées, elle tranche par la formulation d’une cohérence.
Tournant le dos à la peinture métaphysique qui mérite souvent l’épithète par l’obscurité, l’ineffable et l’indicible habilement théâtralisés, loin d’un Chirico esthète, agençant des formes dans une collision destinée à produire des effets de mystère, à déclencher un genre d’étonnement, de questionnement sans satisfaction possible, la peinture philosophique fonctionne comme le discours philosophique.
Vladimir Vélickovic répond à toutes ces définitions de la peinture philosophique : peindre le réel sans concession, tel qu’il est, sans fioritures, loin de la décoration, dans le désir le plus cynique de le représenter tel qu’en lui-même l’éternité ne l’atteint pas ; figurer le monde, en proposer une iconographie quintessenciée ; agir dans le registre de la chose mentale ; fabriquer des icônes païennes à même d’exprimer le sacré laïque et immanent ; puis peindre un objet spécifique, et ne peindre que lui : le tragique, le réel tragique, l’homme tragique, la situation tragique, l’ambiance tragique, en un mot, peindre la catastrophe sous toutes ses formes. Depuis presque un demi-siècle, il ne vit et ne travaille que pour rapporter des images de ce monde.
L’ensemble de sa production se place sous cette obsession permanente. Cette thématique pessimiste qui, de Qohélet à Cioran, traverse le monde des idées, enseigne de vieilles évidences, d’antiques certitudes, mais que plus personne ne supporte, sature la peinture de Vélickovic : l’inconvénient d’être né ; la matière tragique du réel ; à brève échéance, la certitude du pire ; l’éternel retour de la négativité ; le triomphe de l’entropie; la toute puissance inévitable de la mort ; le goût des hommes pour la pulsion qui manifeste cet empire ; l’inéluctabilité du néant, quels que soient les artifices du divertissement ; l’histoire accouchant toujours dans le sang et les larmes ; l’impossibilité de tout espoir ; l’absence de dieux ; l’inexistence du sens ; la fiction d’un ordre naturel des choses ; la solitude abyssale de tout un chacun ; la méchanceté partout visible ; en un mot : la permanence de l’apocalypse… »
M. O.