Rue des Mamours
Dans la mare aux grenouilles, que font les têtards ? Ils font ce que font tous les petits du monde, ils observent les adultes et s'efforcent de les imiter. Dans le microcosme de la rue de Lille, à l'ombre de Saint-Germain-des-Prés, Nicolas Regane alias Nico, neuf ans et demi, est un de ces têtards. Donc Nico connaît fort bien les choses de la vie et ce n'est pas à lui qu'il faut parler de pollen et d'abeilles, le « mamourage - est sans secret et il sait tous les détours que prennent les épanche-ments des habitants du quartier. Cela l'aide énormément pour expliquer comment, au lieu de passer quinze jours à Granville chez son oncle, il est allé en Espagne avec Miska, Pouska, Mohammed et Benoît. Ces vacances, leur genèse et leurs conséquences, il les raconte à sa manière à lui, avec le vocabulaire aimablement fourni par la télé, publicitaire dans son essence et saupoudré de lyrisme emprunté aux échos des heures théâtrales, le tout écrit comme ça se prononce ou plutôt comme Nico l'a entendu. Il a l'oreille fine, la mémoire bonne, le caquet bien affilé - et son récit (rabelaisien) file grand train, au point qu'on le lit sans s'arrêter sauf le temps d'un énorme éclat de rire.
Dans le quartier de Saint Germain des Prés, Il n’y a pas que des Intellectuels et du beau monde ; il y a aussi des tas de petits têtards qui, du haut de leurs neuf, dix ans, n’ont pas les yeux dans leur poche et qui savent mieux que personne qui, dans leur rue, « mamoure » avec qui, aussi bien leurs parents que les autres, parce que, c’est connu, dans ce quartier les rues sont étroites et forcément ça facilite les échanges. Ces gamins, grâce à la télé, ne manquent pas d’expérience ni de vocabulaire : la publicité, on le sait, c’est l’école même de la vie ; ses slogans ont réponse à tout. C’est vachement mieux que l’école, d’autant plus que la maîtresse… C’est grâce à Nicolas Regane, dit Nico, neuf ans et demi, fils d’une standardiste à la Samaritaine et d’un manutentionnaire dans un supermarché, que le lecteur est admis au rare privilège de pénétrer les secrets de la rue des Mamours et d’en tirer la philosophie qui s’impose. Et, comme on le dit aujourd’hui, ce n’est pas triste…
Il est même recommandé de ne pas lire ce livre dans un lieu public, parce que c’est gênant d’éclater de rire quand on est tout seul et qu’avec Lanzmann et ses petits copains c’est vraiment difficile de garder son sérieux.