Madame Putiphar
De Pétrus Borel (1809-1859), romantique " frénétique " ami de Nerval, admiré par André Breton et par les surréalistes, deux grands livres demeurent, l'un et l'autre longtemps introuvables : les Contes immoraux (Champavert) et Madame Putiphar (1839) - éreinté à l'époque par la critique parce que l'auteur osait s'y proclamer disciple de Sade.
Bizarrement rares sont les lecteurs qui ont eu, en un grand siècle et demi de temps, la bonne fortune de tenir entre leurs mains ce texte qui en sidéra plus d'un : Madame Putiphar, rééditée de loin en loin, fut longtemps un livre à éclipses. Pourtant ce récit météorique, qu'on dirait taillé dans un bloc de nuit, figure bel et bien LE roman noir de la littérature française - le seul en tout cas à pouvoir rivaliser avec les trois chefs-d'œuvre du genre : Le Moine de Lewis, Melmoth de Maturin, Les Elixirs du Diable d'Hoffmann.
Borel prétend être parti, pour imaginer sa folle histoire, des aveux d'un prisonnier de la Bastille, délivré le 14 juillet 1789 après une interminable incarcération. Sa fiancée avait été attirée dans un piège par la marquise de Pompadour (Madame Putiphar), grande pourvoyeuse des orgies royales du Parc-aux-Cerfs... A partir de cet argument, Borel propose la traversée aventureuse d'un siècle - le XVIIIe - qui n'est plus celui des Lumières mais celui de toutes les noirceurs.
Dès lors s'explique-t-on l'intérêt passionné que vouèrent à ce texte un Aragon (fasciné par Borel le " colosse "), un Eluard (qui le situe " admirablement entre Sade et Lautréamont "), lors même que ce récit se place sans tricher dans le droit fil de la littérature populaire de l'époque - ce dont Paul Féval saura se souvenir en lançant son Bossu dans le même sillage d'ombre maléfique.