Le peintre abandonné
Picasso ? Le minotaure génial, séducteur, ombrageux, aux révoltes successives, épuisant ses conquêtes : Fernande, Olga, Marie-Thérèse, Dora… Tant de prénoms, tant de visages. Et puis, à soixante-douze ans, voici le grand peintre quitté par Françoise. François Gilot, resplendissante et vive, lui écrit cruellement : « Il est temps que je vive pour moi-même. A ton âge, je n’ai plus d’autre rôle à jouer que celui de maman ou d’infirmière, et je n’ai pas ce tempérament… »
Le grand homme terrassé se réfugie à Perpignan chez ses amis Paul et Aimée –à l’abri dans cette grand demeure où on le choit, l’observe, le redoute... Il y a là une petite société attachante, ironique, presque théâtrale : Aimée, qui raconte ; Totote, son amie ; l’oncle Alphonse, critique d’art ; mais aussi Paulo, un des enfants de Picasso ; Javier, le gitan. Et la mystérieuse jeune fille qui semble hésiter entre plusieurs rôles.
C’est ainsi que Dominique Fernandez, qui est un habitué de cette ville, nous conte un épisode méconnu de la vie du peintre. Des semaines d’abandon, sans pinceaux, sans toile, sans allant. Des nuits et des jours où l’on suit l’artiste démuni, affaibli, n’ayant pour patrimoine qu’un énigmatique coffre de bois. Des semaines à attendre l’éveil. On parle politique, peinture, amours, on assiste à la mise à mort dans les arènes de Céret, on marche sous le soleil blanc de la Méditerranée, on évoque les amis disparus, Eluard, Matisse, les grands génies, Prokofiev, les histoires anciennes, Staline et le parti…
Et un jour, le peintre demande des couleurs, du noir, du bleu !, et se met au travail. Puissance créatrice ? Charmes de Perpignan ? Rencontre avec la jeune Jacqueline ?
C’est un roman ; où tout est vrai ; et où tout finit en peinture – il se trouve au musée Picasso de Paris un tableau sombre et inouï, le fruit de ce séjour dans les limbes, dont le grand homme ne cesse pas de revenir.