Publié en 1869, onze ans après Oblomov, la Falaise en est comme l'écho e¬t car Ivan Gontcharov, écrivain de génie, n'est l'auteur que de trois romans où il exprime chaque fois le même message. Oblomov, ce paresseux incapable d'agir, qui organise sa vie autour de sa chambre - on l'a banalisé, à tort, sous les traits d'un vulgaire balourd aboulique. Comme on a mal jugé le peintre Raïsky, son homologue dans la Falaise, qui lui aussi se complaît dans l'indolence et les velléités de toutes sortes. Ces personnages magnifiques sont bien plus que cela: des philosophes de l'enfance, de l'authenticité, des Don Quichotte qui choisissent délibérément, contre le réel, le rêve. Volontairement rebelles à l'action, ils ont cette noblesse active de la passivité, la force de s'opposer à tous ceux qui veulent les "aider" à combattre leur torpeur, la force de se refuser à jouer le jeu facile de la réalité, de la mondanité, des agitations vaines propres à la vie moderne. Car derrière Raïsky, derrière Oblomov se dessine chaque fois un autre personnage, plus essentiel peut-être: l'âme de la Russie de la fin du XIXe siècle, qui entre à reculons dans l'ère industrielle, pleine de sa propre nostalgie et hantée par la peur, paralysante, de la modernité.