Journal pré-posthume possible
A l'époque où elle tient ce journal, Christiane Rochefort travaille à son dernier roman, «La porte du fond» (prix Médicis 1988) et à deux livres qui paraîtront un an avant sa mort, «Conversation sans paroles» et «Adieu Andromède». Aussi y est-il beaucoup question de l'écriture et de la pensée qui en est la source. Une pensée ici «saisie dans son mouvement au jour le jour – à l'e¬te intersection de la vie et de l'écriture: une écriture pour soi, libre de contraintes, ouverte à tous les sujets, tous les possibles».
Christiane Rochefort a tenu ce journal par intermittences, entre 1986 et 1993. L’autrice de Printemps au parking, des Stances à Sophie, d’Une rose pour Morrison aborde alors la vieillesse avec, intact, «un certain état de fureur» qui est la condition de sa lucidité, de son ironie, de sa légèreté profonde. Fureur de vivre et goût de vivre, chez elle puissamment liés, se traduisent en réflexions lapidaires et parfois désespérées sur l’état du monde, en fragments émerveillés devant sa beauté, l’apparition des bourgeons, le vol des martinets, le chant des rossignols ou Mozart.
La concision à laquelle elle atteint ici est admirable, ses notes ont souvent la justesse émouvante ou cinglante du poème. Rochefort qui avait écrit «Ça ne m’intéresse pas de raconter ma vie, je la connais déjà» (Ma vie revue et corrigée par l’auteur) ne tient pas son journal pour garder trace de sa vie, ordonner sa pensée, organiser le cours des choses. Elle écrit sur l’écriture et elle écrit sur des riens et sur des fulgurances, sur la douleur, sur le courage, sur ce qui alimente le flux créatif ou l’assèche.