Hokusai ou l'horizon sensible
Selon les anciens, pour faire un grand peintre, il fallait trois conditions : élévation de l’esprit, liberté du pinceau, connaissance des choses. Trouver un artiste qui remplit une de ces conditions est déjà rare. Or, dans la vieille ville d’Edo, vivait un artiste nommé Hokusai (« Atelier du Nord ») qui les remplissait toutes à merveille. Si Hokusai sait camper une scène de société avec vivacité, s’il saisit avec une rapidité fulgurante toutes sortes de phénomènes, s’il plonge avec humour dans les fantasmes, c’est peut-être dans les grands paysages qu’éclate son génie à la fois extravagant et serein.
En 1990, cent ans après Edmond de Goncourt, auteur de la première monographie européenne jamais consacrée à un peintre japonais, Kenneth White estimait que « les temps étaient sans doute mûrs pour un essai (genre à la fois informé, pensant, poétique et rapide) sur Hokusaï, qui, tout en puisant dans une masse énorme d’études historiques, socioculturelles et iconographiques, essaie de dégager l’espace propre à Hokusaï et d’ouvrir des perspectives ». C’était nommer à la lettre son ambition et son accomplissement. Trente ans plus tard, cette coupe transversale dans l’œuvre de l’artiste continue de fournir une introduction idéale.
Précisant qu’« il ne s’agit pas dans cet essai de la chronologie d’une vie, mais de la logique, croissante, d’une œuvre », l’auteur choisit de cerner la figure de ce « vieux fou », ainsi qu’il se nomma lui-même, auteur de trente mille dessins qu’il signa sous près de cent noms, à travers cinq « espaces de signes », cinq cercles concentriques, cinq paliers qui conduiraient de la base, les « images du monde flottant », au sommet, les fameuses Trente-six puis Cent vues du Mont Fuji. Jeune et vigoureux chroniqueur de l’effervescence d’Edo ; illustrateur d’une littérature en plein renouvellement ; pédagogue eÎntrique et profond ; compagnon des poètes et auteur de « grands paysages » : ce sont ces cinq facettes que Kenneth White recompose et arrange à l’aide d’une foison d’archives et d’un choix iconographique.
Dans le sillage de Valéry et de son Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, l’écrivain ressuscite ainsi par l’imagination un « artiste du monde » qui sut, dans un élan « cosmopoétique », faire accueil aussi bien à son siècle qu’à « l’esprit des choses ».