Il est en fait assez rare de rencontrer au pluriel le mot bug (qui désigne une erreur de programmation que l’on mesure à l’aune des problèmes de fonctionnement qui en résultent) ou bogue (pour les puristes de la langue française). De fait, si le bug entraîne une cascade de bugs, c’est généralement l’originel qui fait oeuvre de terme générique... le mythique bug de l’an 2000 par exemple.

En titrant Bugs son recueil de nouvelles, Gérard Delteil nous invite donc dans le dédale de la multitude, dans la cascade de ces menus incidents qui provoquent la tragédie. Qu’il s’agisse d’une complète fantasmagorie proche de la science-fiction comme dans Bug d’enfer dont l’ambiance pesante évoque Le village des damnés, d’une divagation politique et économique sur l’arrivée de Bill Gates au Paradis, d’une critique acerbe de la société de consommation, ou de la revisitation d’une réalité comme le dysfonctionnement de la BNF, l’auteur jamais ne ménage l’angoisse qui sourd chez son lecteur. Car, sur le ton badin de celui qui narre un quotidien a priori fort banal, il se réserve son effet, se tenant dans ce modus operandi dans un espace proche duBizarre ! Bizarre ! de Roald Dahl. S’il est possible de deviner le drame en devenir dans Boost Graffic Exterminator, de soupçonner des accents de réalité dans Expertise, l’auteur se plait à rajouter une confusion supplémentaire. Ainsi joue-t-il du temps, mélangeant le passé au futur, le futur au présent, entre une veine steam punk et une veine réaliste. Pris au piège d’un style sobre, clair et précis, les lignes s’avalent et d’un bug à l’autre arrive la dernière page et l’aube d’un jour sans sommeil.

--Sylvaine Jeminet--