Ailleurs
Ces trois recueils composés entre 1936 et 1946, petits contes ou songes philosophiques dans la grande tradition de Zadig, des Lettres persanes ou des Voyages de Gulliver, quoique recouvrant une des périodes les plus tragiques de notre Histoire, offrent une liberté de ton et une vivacité paradoxales : plus que jamais Michaux semble s'être retranché dans un ailleurs souterrain et, s'il évoque sans relâche folie, sauvagerie et cruauté, c'est avec une sobriété, une réserve dénuées de tout pathos. Car la langue de Michaux s'imprègne ici d'un classicisme rigoureux. Le style est d'une élégance rare, le vocabulaire d'une inventivité permanente. Ce monde absurde où les images, comme les idées, se retrouvent subverties et retournées, il en grave les lignes à l'acide. Et ne nous livre aucune clé. Moraliste, mais poète d'abord, accumulant les tours de passe-passe il oeuvre en magicien, sourcier patient de songes et de fictions savantes qui nous invitent à dormir les yeux grands ouverts. --Scarbo