Un demi-siècle avec Borges
À l'inverse de ce qui m'arrive avec d'autres écrivains qui ont marqué mon adolescence, je n'ai jamais été déçu par Borges. [...] Ma relation étroite de lecteur avec ses livres contredit l'idée selon laquelle on admire avant tout les auteurs proches de soi, ceux qui donnent corps et voix aux fantasmes et désirs qui vous habitent. Peu d'écrivains sont plus éloignés que Borges de ce que mes démons personnels m'ont poussé à être par l'écriture : un romancier intoxiqué par la réalité, fasciné par l'histoire qui se fait autour de nous et ce passé qui pèse encore avec force sur l'actualité. [...] C'est sans doute pour cela que j'ai toujours lu, et relu, Borges non seulement dans l'exaltation procurée par un grand écrivain, mais aussi, avec une indéfinissable nostalgie et la sensation que quelque chose de cet éblouissant univers surgi de son imagination et de sa prose me sera toujours refusé, quels que soient mon admiration et le plaisir que j'y aurais pris.