Télérama hors

Telerama

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Popularité
Popularité du livre : faible
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4.58
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A première vue, rien n'unit les femmes longilignes nimbées d'ors de Gustav Klimt, les anatomies écorchées vives d'Egon Schiele, les figures enfouies dans la pâte terreuse d'Oskar Kokoschka, et les allégories mystiques de Koloman Moser. Aucun style commun en tout cas. Même la Sécession, le mouvement auquel ils appartiennent tous, fournit peu d'indices, car il accueille aussi bien les arabesques décoratives que la rigueur géométrique. Reste à invoquer une ville, Vienne, et une époque, le tournant du XIXe siècle. Tout en précisant que ces artistes appartiennent à deux générations différentes : les aînés, Klimt et Moser, précèdent de vingt ans Schiele et Kokoschka. Selon une habitude répandue, nous pourrions également être tentés de deviner chez eux une succession de ruptures. Mais Klimt n'est pas en guerre contre l'art académique : il commence par l'adopter, avant de la recycler. Et ses dessins expriment une forme de crudité que l'on trouvera plus tard chez Schiele. Quant à Moser, il est à la fois créateur de meubles aux lignes strictes et peintre de scènes figuratives symboliques.

Certains, pourtant, établissent des liens entre ces quatre Viennois, décelant chez eux la simplification naissante des formes, l'abolition de la profondeur, autant de manières qui annoncent l'abstraction et une facette nouvelle de la modernité. Ils ne sont pas les seuls : vers 1900, Cézanne, Monet, Gauguin, Matisse, voire Maurice Denis sont engagés sur une voie sinon identique du moins parallèle.

Et si cette nouveauté viennoise, qui nous correspond tant aujourd'hui, résidait justement dans l'éclectisme, dans ces créations hétéroclites dont l'addition ne forme pas un tout ? Et n'offre aucune vision cohérente du monde. Pour le philosophe Claudio Magris, Vienne, empire aux multiples nationalités, Babel de langues est le "lieu symbolique dans lequel meurt la totalité de la tradition et naît la dispersion contemporaine". La musique dodécaphonique de Schoenberg, l'oeuvre chaotique de l'écrivain Musil ou les désillusions du romancier Josef Roth illustrent parfaitement ce phénomène. Cette impossibilité de donner un sens aux choses et aux événements se traduit aussi dans la sensualité e¬erbée et parfois obscène des nus de Klimt ou de Schiele : un désir de jouir de l'instant, sans espoir de lendemain.

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