Télérama [HS n° 110] Dialogue de géant
Ennemis, concurrents, adversaires ? Savamment mise en scène par les marchands et les critiques, attisée pendants des années par certains collectionneurs et de supposés amis des deux peintres, la prétendue rivalité Matisse-Picasso s'est heureusement dégonflée comme un ballon de baudruche au fil des dernières décennies. Rien de commun, martelait-on, entre le "bourgeois" de Picardie et l'Andalou au coeur ensoleillé, entre l'homme de l'ordre le plus strict et celui qui ne pouvait vivre que dans un certain capharnaüm indescriptible dont lui seul possédait le secret. Vocation tardive de l'un, précocité du talent de l'autre, chaleureuse sociabilité de Matisse, joyeuse convivialité de Picasso. Tout, apparemment, semblait devoir les opposer. Il n'en a rien été, comme on le sait aujourd'hui. Non seulement dans leurs rapports personnels, mais aussi et surtout dans leur travail respectif.
La relecture de l'oeuvre des deux artistes, telle qu'elle nous est présentée dans l'exposition du Grand Palais, permet de constater qu'en dépit de trajectoires fort différentes et de personnalités aussi dissemblables, Matisse et Picasso auront été les deux phares d'un même élan vers la modernité, les deux pôles contraires d'une même révolution de l'art du XXe siècle...
Cinquante ans durant, par leur dialogue et le face-à-face de leurs oeuvres, ces frères d'armes ouvriront tour à tour des horizons nouveaux à l'art contemporain dans tous les domaines : peinture, sculpture, découpages, papiers collés... Pour la première fois, il nous est donné la possibilité de réévaluer la révolution provoquée par ces deux "monstres".