Notre joie
Un soir de septembre à Lyon, un jeune homme d’extrême droite, M, se présente comme un « fan » et m’offre un verre.
J’accepte, intrigué par cette étrange adhésion. Qu’est-ce qu’il me trouve ? Qu’est-ce que cet individu peut donc priser dans un écrivain du bord opposé ? Nous avons certes quelques ennemis communs, mais les ennemis de mes ennemis sont-ils appelés à devenir automatiquement mes amis ?
Au fil de la discussion, il se confirme que ce qui nous unit est infiniment moins vaste que ce qui nous sépare.
Nous sépare avant tout notre usage de l’idiome français. Nous n’avons pas les mêmes valeurs, mais d’abord pas les mêmes mots. Il dit « mondialisme », je dis « capitalisme ». Il dit « les élites », je dis « la classe dominante ». Il pense culturel et je pense social. Il dit « la France » et cela me laisse coi.
Mais les questions de forme étant des questions de fond, la discorde de langue recouvre une discorde affective. M fonde sa politique sur des refus, et je voudrais que la mienne soit d’abord affaire de désir. Si M et moi commencions à énumérer ce que nous désirons, l’illusion de notre entente serait illico dissipée. Il aurait à cœur de restaurer la grandeur de la France quand je trouverais plus urgent de restaurer la sécurité sociale. Il traquerait ses ennemis, je m’appuierais sur mes amis. Il se nourrirait de colère, j’entretiendrais ma joie.
Livres de l'auteur : Francois Begaudeau
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