Marcel Proust sous l'emprise de la photographie
À la réédition par les éditions Gallimard de trois "classiques" de l'oeuvre littéraire de Brassaï (Conversations avec Picasso, Henry Miller grandeur nature, Henry Miller rocher heureux) s'est ajouté, à l'automne dernier, la parution d'un texte inédit: Marcel Proust sous l'emprise de la photographie. Fruit tardif de la passion qu'entretenait Brassaï pour La Recherche, son ouvrage superpose l'intérêt de Proust pour la photographie avec sa propre fascination pour la littérature. Armé de son seul savoir de photographe, mêlant dans son enquête le projet de l'auteur, le récit du narrateur et l'expérience de l'individu, Brassaï veut en quelque sorte ramener Proust à la photographie, comme si l'intuition d'un des plus grands génies littéraires du xxe siècle devait en retour rendre sa pleine dignité à un médium largement critiqué par la gent lettrée. Empreint d'une passion militante, l'essai de Brassaï applique au corpus proustien une technique d'analyse obsessionnelle, qui vise à voir la photographie partout, et produit des raccourcis aussi saisissants qu'incertains, qui culminent avec la tentative de déceler dans le style même de Proust des figures inspirées de dispositifs comme la chronophotographie ou le cinéma. Découvrant en Proust un confrère dans l'art de fixer les images, Brassaï nous en apprend probablement plus sur lui-même que sur l'auteur de La Recherche.
2Cette quête de respectabilité de la photographie par la littérature s'explique en effet chez Brassaï par un poids énorme mis dans sa famille autour de la chose écrite. En s'y confrontant à son tour, le photographe rejoint son père, professeur de français en Hongrie, dont la figure a eu une grande influence sur son destin et sa carrière, comme en atteste la parution de Letters to My Parents (traduit du hongrois par P. Laki et B. Kantor, University of Chicago Press, 1997). Regroupant quelque 90 lettres qui retracent le quotidien du jeune émigré hongrois et sa découverte de la société artistique parisienne entre 1920 et 1940, l'ouvrage fournit un témoignage indispensable pour qui veut comprendre ce personnage aux multiples facettes. Agrémenté de nombreuses photographies et dessins inédits, ce volume constitue l'alpha de la bibliographie brassaïenne, comme le Proust en constitue l'oméga.