Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix

Jean Giono

Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix
121 pages
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La Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix est écrite durant l’été 1938, entre le début juillet et la mi-août. Jean Giono la rédige dans une atmosphère de bouleversement. En pacifiste convaincu il sait que depuis l’Anschluss les Français se préparent de plus en plus à la guerre et sont prêts à la faire. Son intention n’en est que renforcéeu2009: «u2009Continuer à combattre, écrit-il le 16 mars dans son journal, contre le militarisme et forcément commencer par lutter contre celui de ma patrie.u2009» Or abattre la guerre, c’est abattre l’État, quel qu’il soit.

Le Giono des premiers écrits, le romancier décrivant un monde paysan accordé aux grands rythmes élémentaires, somme toute assez inoffensif, laisse place au penseur engagé, politiquement incorrect. La lutte que le «u2009pacifiste-anarchisteu2009» engage ici, aux côtés des paysans du monde entier, contre la guerre et contre l’État est une lutte perdue d’avance. La guerre et l’État, tant totalitaire que démocratique, passeront par là. Et pourtant en parlant aux paysans, Giono sait qu’il parle de choses humaines valables pour tous. Il sait que son message portera loin, et ce faisant qu’il saura à sa manière rendre compte de l’évidenceu2009: «u2009tous les peuples du monde sont prisonniersu2009». Paysans et non-paysans partagent, malgré eux, la même communauté de destin. Celui d’un monde aux prises avec le culte de la vitesse, de la technique et du progrès, dont le propre est, petit à petit, d’éliminer le naturel au profit de l’artificiel. Un monde qui aujourd’hui voit plusieurs centaines de millions de paysans souffrir de la faim.

Cet éloge de la pauvreté et de la paix nous force à nous retourner sur la figure du paysan, mais aussi à questionner une société occidentale se donnant en modèle et refusant de fait toute contestation.

Recevoir cette lettre et la lire c’est un peu devenir paysan soi-même, c’est regagner le droit d’être libre et autonome.

À la date du 3 janvier 1939, dans "le salon de lecture" d' "Alger républicain", Albert Camus donnait la lecture suivante de la "Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix" de Jean Giono.

"Cette petite brochure de Giono s'adresse aux paysans et, par certains de ses accents, constitue un réquisitoire violent (mais non sans nostagie) contre l'ouvrier. On en jugerait mal cependant si on ne savait pas que, dans le dernier numéro des "Cahiers du Contadour", Giono est revenu sur sa position et a précisé que, devant les évènements de septembre 1938, désespérant de la classe ouvrière, il s'est adressé aux paysans comme au dernier espoir des hommes pacifiques.

Quoi qu'il en soit, et dégagée de l'actualité, cette "Lettre" ne s'oublie pas facilement. Giono s'est débarrassé, à ce propos, de tout lyrisme et privée de la surabondance poétique qui l'alourdit si souvent, sa phrase est ici rapide et nette. Si je puis dire elle est "parlante". On serait même tenté de croire, à la lire, que Giono est moins poète quon ne le croit et qu'à sa façon, il se rattache à cette lignée de prosateurs moralistes qui figure assez bien la tradition littéraire de la France. On en juge, du moins, au bon sens dévastateur et à l'impitoyable lucidité qui font le prix de cette "Lettre".

Mais, à lire ces pages éloquentes sur la pauvreté et la paix, cet appel passionné pour une vie paysanne mesurée, les pieds sur la terre, loin de l'argent et des spéculations d'État, on comprend mieux, toutes proportions gardées, ce que peut signifier le mot de prophète.

Jusqu'ici c'était un monsieur à la barbe qui disait des choses magnifiques et violentes dans une langue pas toujours comprise. Mais on prend conscience, devant cette "Lettre", que ce devait être un homme qui parlait à d'autres hommes le langage de leur coeur avec leurs mots de tous les jours.

Je ne sais pas si cette Révolution individuelle et non violente dont parle Giono est possible. Mais je sais qu'aucune n'est possible si elle n'a commencé dans le cœur et l'esprit de ceux qui comptent la faire. L'échec de tant de révolutions tient peut-être à cette idée. Cela suffit pour comprendre et aimer le message singulier de Giono. Il est quelque chose de plus qu'une actualité sans avenir."

Présenté par Alexandre Chollier, le texte est réédité joliment dans la collection "feuilles d'herbes" des Éditions Héros-Limite. La présentation est un peu courte, même si elle renvoie à une rapide bibliographie, et aurait mérité un peu plus de précisions. Le texte est contemporain de la crise des sudètes, et Giono lui-même, apporta immédiatement, suite aux évolutions de cette crise et son règlement par les accords de Munich quelques "Précisions". Tel est le nom du pamphlet publié par Grasset en janvier 1939 et, donc, pré-publié, dans la septième livraison des "Cahiers du Contadour" et vers lesquels nous renvoie Camus dans sa lecture. Je vous y renvoie aussi, par ailleurs, dans la Pléiade. En attendant une réédition critique plus complète, la "Lettre" s'appréciera par delà le temps

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