La lecture assassine
Mon angoisse s'accrût à l'idée qu'elle ait pu mettre en pratique ce qui dans Le Doux climat de Lesbos n'était que pure fiction. Là, à la page 34, on peut lire : " Ce récit contraint son auteur à accepter la règle de la tauromachie qui, comme chacun le sait, poursuit un objectif essentiel : en plus de l'obliger à se mettre sérieusement en danger, à ne se défaire en aucune façon de son adversaire (le succès dépendra d'une bonne maîtrise technique), la règle proscrit le combat comme simple boucherie. Aussi pointilleuse qu'un rituel, elle offre un aspect tactique (préparer le lecteur à recevoir une estocade mortelle, sans toutefois le fatiguer plus que nécessaire durant le combat) et un aspect esthétique, particulièrement prépondérant à la fin de l'ouvrage : fermer le livre sera pour le lecteur comme de sceller la dalle qui recouvrira sa tombe. "Cet inquiétant livre criminel fut écrit par Enrique Vila-Matas à Paris en 1975, sous l'influence d'Unamuno qui eut l'idée d'écrire un roman causant la mort du lecteur. Avant d'entreprendre la rédaction de ce livre assassin, Vila-Matas présenta son projet à Marguerite Duras qui était alors sa logeuse. Elle lui dit qu'il s'agissait là d'une ambition irréalisable car jamais aucun livre ne serait comme la tombe de Toutankhamon. L'auteur comprit alors qu'il n'obtiendrait cet effet mortel qu'en pratiquant le crime dans l'espace strict de l'écriture. Cette lecture assassine, aux raffinements surréalistes, est le premier roman d'Enrique Vila-Matas.