La langue, suivi de Mal placé, déplacé
Dans un bistro désert d'une petite ville, deux personnages dialoguent : la serveuse, venue de la campagne, et un client de passage, qui semble être ce qu'on appelle un " intellectuel ". Ils parlent " pour rien ", ou plutôt : pour échapper à la monotonie, à l'ennui, à la tyrannie du stéréotype ; calamités qu'ils éprouvent tous deux, mais évidemment pas de la même façon. Ce dialogue ne va donc pas de soi. Il se hasarde, c'est une histoire progressive de séduction/éducation mutuelles, l'invention d'une fantaisie commune par la liberté des mots. D'abord, de fréquentes incompréhensions l'interrompent. Dans le silence ouvert par ces crises de non-parole s'élève - si l'on peut dire - une " voix , bredouillante, grommeleuse, qui est probablement celle de la télévision, ou d'une radio. Mais il serait trop simple de la réduire à cela. Elle est plus généralement celle des nouveaux maîtres. Elle émet un magma de lieux communs, dans une langue faiblement articulée. Cette " Voix " de personne, aussi éloignée de la langue " littéraire " que de la langue " populaire " (pour faire vite), enfin, des langues matérielles, nous ne l'entendons, ne la lisons que trop, il nous arrive même de l'utiliser. A la fin, elle s' " incarne " en une sorte d'ectoplasme. Parce que cette chose-là, en effet, ne cesse de se réaliser - sans jamais être personne. Quelques-unes des idées mises en scène dans La Langue, il m'était arrivé de les exprimer, autrement formulées, dans une conférence : il n'a donc pas paru complètement incongru d'en publier le texte à la suite. Son titre, placé, déplacé, sonne pour moi comme un programme, j'oserais presque dire, politique...