La beauté malade
Ce mouvement contre les instincts et l’intuition a pris une coloration morale dans tous les pays. Il a son point de départ dans la haine. N’oublions jamais que la moralité moderne a ses racines dans la haine, dans une aversion profonde, perverse, pour le corps procréateur, instinctif et intuitif. Cette haine est e¬erbée par la peur, peur qu’empoisonne de surcroît l’horreur inconsciente de la syphilis. Et on aboutit à la conscience bourgeoise moderne, qui tourne sur les pôles secrets de la peur et de la haine, et ce, dans tous les pays. Mais il fallait, bien sûr, que ce sentiment revête une apparence vertueuse, il est donc devenu moral, a décrété que les instincts, les intuitions et toutes les activités du corps procréateur étaient mauvaises et a promis une récompense si on les supprimait.''
Le jugement que D.H. Lawrence porte dans ce brûlot sur l’art est sans appel : la beauté est malade, atteinte dans sa chair par cinq siècles de civilisation occidentale.
La terreur de la sexualité s’est introduite dans les esprits et l’art est devenu tiède, ennuyeux, dénué de passion et de sensualité.
La Beauté malade dénonce cette impossibilité de représenter les êtres et les choses dans toute leur présence charnelle. Mais la sensualité a trouvé des refuges imprévus. Lawrence oppose les maîtres anglais, de Constable à Sargent en passant par Turner, aux Impressionnistes français qui, s’ils n’échappent pas au cliché, ont inventé la lumière, et entretiennent un rapport au corps, hygiénique certes, mais jouisseur. Et Cézanne, avec ses pommes, a réussi – partiellement – à échapper aux limites imposées par l’esprit et à célébrer la matière.
D.H. Lawrence, grand défenseur de la franchise et de la matérialité, considéré comme l’un des premiers penseurs du lien entre esthétique, sexualité et idéologie, déchire avec verve, ironie et cynisme le voile de pudeur qui détourne les artistes des corps. Il livre un plaidoyer en faveur d’un art libéré de toute entrave.
Traduit de l'anglais par Claire Malroux.