Face au passé
Depuis le dernier tiers du XXe siècle, la mémoire est devenue l’une des modalités privilégiées du rapport que les sociétés contemporaines entretiennent avec le passé. Elle a suscité des politiques publiques d’un genre inédit, à l’image des « lois mémorielles » ou des réparations symboliques tardives des crimes du passé, proches ou lointains. Né dans l’après-coup de la Shoah, deux à trois générations après la chute du nazisme, le besoin de se souvenir et la hantise de l’oubli se sont étendus à d’autres grands épisodes mortifères de l’histoire : guerres, génocides, colonisations. Ils constituent aujourd’hui des éléments essentiels d’un nouveau régime d’historicité, entendu ici comme la place qu’une société accorde au passé, et donc au présent et à l’avenir.
Henry Rousso est l’un des premiers historiens à avoir travaillé sur l’histoire du souvenir des grands traumatismes collectifs. L’ouvrage s’attache à prendre en compte autant la présence que l’absence du passé dans la mémoire collective. S’il s’intéresse aux évolutions récentes des usages et politiques de mémoire en France, il montre aussi à quel point la compréhension de ces phénomènes dépasse le cadre national et doit se penser à une échelle globale, européenne ou mondiale, récusant en la matière l’idée d’une prétendue « eÎption française ». L’enjeu est d’importance : l’investissement considérable des sociétés modernes pour entretenir le souvenir des catastrophes historiques ne semble pas les avoir prémunies contre un retour du tragique et de la violence de masse qu’elles pensaient ainsi conjurer.