Ecrits sur la musique, 1876-1950
Hormis Pygmalion - et sa version cinématographique My Fair Lady -, l'oeuvre de Bernard Shaw est aujourd'hui presque complètement inconnue du public français. Parmi les mélomanes, rares sont ceux qui ont lu Le Parfait Wagnérien ou qui en connaissent même l'existence ; plus rares encore ceux qui savent que ce célèbre essai, devenu introuvable, était le fruit d'une familiarité professionnelle avec la musique. C'est en effet comme critique musical que Shaw est entré dans la carrière journalistique et littéraire. Pendant près d'une vingtaine d'années (de 1876 à 1894) il a tenu, avec un brio croissant, une chronique musicale régulière dans la presse londonienne ; et même lorsqu'il cessa cette activité, il n'en continua pas moins à publier, de temps en temps, des articles souvent remarquables. Paradoxe : c'est au moment où l'Angleterre a la réputation d'être une « nation sans musique » ( « das Land ohne Musik », comme disaient les Allemands) qu'elle produit un des critiques musicaux les plus talentueux d'Europe. Autodidacte, Shaw en a les qualités : l'indépendance d'esprit, l'originalité qui le font échapper au conformisme victorien où s'enlise alors la musique britannique. Wagnérien, il porte cependant un jugement lucide, et souvent désopilant, sur la façon dont sont interprétées à l'époque les oeuvres de Wagner, y compris à Bayreuth. Mais sa passion pour le compositeur de Tristan ne l'empêche pas d'apprécier vivement Mozart, alors très négligé, ni surtout de saluer, un des tout premiers, la redécouverte de la musique ancienne que lancèrent dans les années 1890 quelques pionniers et dont nous pouvons mesurer aujourd'hui toutes les heureuses conséquences. Cette anthologie, complétée par un index détaillé, devrait être une source de plaisir pour l'amateur et un ouvrage de référence pour le connaisseur. Quant au non-mélomane, qu'il se rassure, il lui suffira de feuilleter quelques pages pour voir que Shaw a pleinement réalisé son ambition : être lu par des sourds.