Albertine Sarrazin
Quand elle est morte, le 10 juillet 1967, à vingt-neuf ans, Albertine Sarrazin était connue dans le monde entier par trois romans auto-biographiques, La Cavale, L'Astragale, La Traversière. Le premier était une chronique de ses prisons ; le second, l'histoire merveilleuse de sa rencontre avec l'homme qui allait devenir son mari, Julien ; le troisième évoquait le salut par l'écriture, l'entrée en littérature, la conquête, par le courage et le talent, d'une vie nouvelle, heureuse et libre.
Mais Albertine Sarrazin laissait après elle une foule d'inédits : lettres, journal intime, carnets, nouvelles, poèmes. Elle laissait aussi, soigneusement classées, des lettres qu'elle avait reçues, et dont elle n'avait jamais voulu se séparer.
Si l'on sait qu'elle détruisait périodiquement les papiers qui lui paraissaient inutiles (des milliers de feuillets sont ainsi allés au feu par ses soins), on peut en déduire que les documents mis à l'abri et conservés par elle au cours de sa vie aventureuse avaient un grand prix à ses yeux.
C'est à partir de ces documents, et à partir d'eux seuls, que la présente biographie a été constituée.
Josane Duranteau n'a pas voulu interroger les témoins de la vie d'Albertine : les êtres d'eÎption trouvent peu de témoins en état de saisir leur vérité à travers les rencontres de la vie quotidienne - et un écrivain est toujours le meilleur témoin de sa propre vie.
L'histoire d'Albertine Sarrazin, telle qu'elle apparaît ici, illustrée de nombreuses et larges citations inédites, est à la fois un travail documentaire, conduit avec un constant souci d'e¬titude et d'objectivité, et une extraordinaire histoire d'amour, où Albertine et Julien se montrent des héros de légende.
Ce destin eÎptionnel suscite des réflexions multiples sur un grand nombre de problèmes, directement traversés par la vie d'Albertine, problèmes qui mettent en question les structures de notre société et par là nous concernent tous. Citons : l'abandon d'enfant, l'adoption, la crise de l'adolescence chez le sujet surdoué, la rééducation de la jeunesse prédélinquante, les tribunaux d'enfants, le régime carcéral et ses effets sur les mineurs, les possibilités de réinsertion dans une vie " normale " après de longues années de prison... Tout est exemplaire dans cette histoire : après sa mort, Albertine n'avait pas fini de nous poser des questions essentielles, puisque le long procès intenté par son mari aux médecins qui ont été les derniers à la voir vivante, ce procès a posé avec éclat le problème de la responsabilité médicale.
En découvrant ici des écrits de jeunesse d'Albertine Sarrazin, le lecteur comprendra mieux sa force, cette maîtrise qui lui a permis de surmonter les pires difficultés : car à quatorze ans, elle était déjà un écrivain en pleine maturité. Ses dons miraculeux se sont épanouis dans les ténèbres de la solitude et de l'enfermement, préparant une destinée littéraire d'écrivain classique : aujourd'hui, dans toutes les universités du monde, on publie des thèses sur l'ouvre de la petite prisonnière qui est l'égale des plus grands.