Mon livre surprise
Coffret illustré
MORT A CREDIT
Mort à crédit c'est l'histoire d'un gamin solitaire, dans le Paris d'avant la Grande Guerre, élevé par des petits-bourgeois qui n'étaient ni riches ni intelligents ni ouverts au monde en marche, et qui se gonflaient pour paraître, pour avoir l'air de, pour ressembler aux riches qu'ils révéraient. Ce petit monde a été décrit par Céline avec une férocité, une truculence et un humour incomparables, qui sont des constantes de toute son oeuvre On y trouvera la démonstration du fait qu'il était incapable de dissocier la représentation de la vacherie des hommes du besoin qu'il avait d'en rire, passant tout naturellement de l'horreur au grotesque de cette manière si française, dénoncée par Beaumarchais, de prendre au sérieux les choses futiles et les vraies tragédies le plus comiquement possible. On y trouvera aussi l'ineffable portrait de Raoul Marquis, dit Henri de Graffigny, ingénieur, aérostier, inventeur, écrivain prolixe, faux marquis et vrai mythomane, dont Céline a fait le très rocambolesque Courtial des Pereires. Chacun connaît le talent et la manière de Tardi, son trait si particulier et la façon dont il a déjà rendu l'atmosphère tragi-comique de Voyage au bout de la nuit et de Casse-Pipe. Il était l'homme qu'il fallait pour illustrer ce livre dans lequel Céline, à force d'outrances, a donné de la société française de son temps une image plus vraie que nature, dans ce langage vivant, moderne et vert, qui a fait scandale, mais qui vaut à Mort à crédit, bientôt sexagénaire, de n'avoir pas pris une ride et de demeurer l'un des grands romans français du XXème siècle.
CASSE-PIPE
Avant la guerre, il y avait eu la caserne (le quartier, en langage de cavalerie) ; avant Bardamu, il y avait Ferdinand. Dans Voyage au bout de la nuit, Bardamu, pour avoir emboîté le pas à un régiment en parade, se retrouvait pris au piège, mais ce premier moment ne durait que quelques lignes. Après cela, c'était l'errance. Casse-pipe, c'est le temps de l'enfermement, devenu interminable. Témoin la longueur de cette première nuit, qui occupe toute la première séquence, mais la suite est à l'avenant. L'agressivité du monde et des hommes y prend la forme de la nuit, du froid, de la pluie, de chevaux échappés qui courent dans tout cela, et un visage que Courteline et d'autres avaient déjà fait connaître en littérature, celui des gradés et des sous-officiers, d'autant plus charognes qu'ils sont eux-mêmes plus terrorisés. L'étonnant est que, du spectacle de tant d'écrasement, qui ne cesse pas d'être sensible, naisse ligne à ligne tant de comique. Céline est ici dans toute la maîtrise de ses moyens. Le discours et l'argot militaires sont un morceau de choix pour cette rencontre de langages qui est pour lui le commencement du style. « Et quand vous avez à la fois le tragique et le rire, vous avez gagné, n'est-ce pas... o C'est lui qui le dit, en parlant de Shakespeare. Casse-pipe est un roman inachevé, dont nous n'avons même pas tout ce qui avait été écrit. On trouvera ici l'ensemble des parties actuellement connues : les cinq séquences mises au point et les fragments retrouvés d'une première version, plus le seul récit que Céline ait fait de ce qui devait suivre. Une fois ces morceaux réunis, leur force est telle qu'ils font une oeuvre à part entière. De cette transposition du vécu en mots, Tardi fait à son tour une transposition visuelle, avec la même fidélité à la sensibilité célinienne dont il avait déjà fait preuve dans son illustration de Voyage au bout de la nuit.
VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT
Peu de livres ont une aussi grande puissance de vision que Voyage au bout de la nuit. Vision intense : celle de la révélation de la misère, de la guerre, de la maladie sans fin, de la mort. La phrase se concentre, repère tout, ne pardonne rien. Vision itinérante et prodigieusement variée ensuite : on part de la place Clichy, on se retrouve dans divers massacres à cheval, puis dans une Afrique écrasante, puis noyé à New York, à Detroit, puis de nouveau dans la banlieue de Paris (la banlieue de Céline, cercle minutieux de l'enfer!), puis dans les environs de Toulouse, et enfin dans un asile psychiatrique pas comme les autres. La mort au départ et à l'arrivée. La symphonie agitée de la nuit infinie pour rien. Le héros métaphysique de Céline est ce petit homme toujours en route, entre Chaplin et Kafka mais plus coriace qu'eux, vous le redécouvrez ici, perplexe, rusé, perdu, ahuri, agressé de partout, bien réveillé quand même, vérifiant sans cesse l'absurdité, la bêtise, la méchanceté universelles dans un monde de cauchemar terrible et drôle. Céline lui-même a comparé son style aux bandes dessinées, aux « comics n. C'était pour dire qu'il allait toujours au vif du sujet, au nerf de la moindre aventure. Ce Tardi-Céline l'aurait ravi. L'oeil traverse le récit comme une plume hallucinée, on voit le déplacement sans espoir mais plus fort, dans son rythme de mots et d'images, que tout désespoir. Il faut relire Céline en le voyant. Ta