Une demi-douzaines d'elles

Anne Baraou - Fanny Dalle Rive

Une demi-douzaines d'elles
200 pages
Popularité
Popularité du livre : faible
Notes
Note globale
★★★★★
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3.35
Note personnelle
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L'ombre des jeunes femmes

par Marion Dumand

Nouvelles ou « saga » de romans graphiques, Aujourd'hui n'existe pas et Une demi-douzaine d'elles dessinent des fragments d'itinéraires, essentiellement féminins. Qu'ils soient durs ou tendres.

Armelle Naïve, Marine Sex, Michèle Roman, Véra Haine, Ugoline Saine, Isab Abus. Les noms disent déjà beaucoup, mais taisent la finesse jubilatoire de cette Demi-douzaine d'elles. Féminins et urbains, les six personnages ont été concoctés de 2001 à 2008 par Anne Baraou et Fanny Dalle-Rive, d'abord publiés un par un, à chacune son volume. L'intégrale, toujours chez l'Association, nous permet maintenant de les embrasser d'un seul regard, et d'affûter ce dernier. Frappe d'emblée l'époustouflante cohérence de l'ensemble. De Véra, l'adolescente enrebellée à Ugoline, la trentenaire en cloque, les itinéraires de quelques jours ou semaines forment autant de portraits savoureux, complémentaires. Mine de rien, la scénariste Anne Baraou a la verve haute, le dialogue acéré et sincère, et c'est un régal que de voir la dessinatrice Fanny Dalle-Rive le mettre en case. De son trait simple et souple, elle invente mille détails (un saut du lit, une posture braquée, un sourcil dressé) qui rendent le récit non seulement fluide mais évite toute verbosité. Parcourir d'un coup ces six bouts de vie invite à en savourer les liens, les chemins croisés et plein de sens. Sur son vélo, Véra Haine manque de renverser Michèle Roman l'écrivaine invisible, qui aime boire avec Isab Abus, quadra trompée et alcoolique, dont la sœur Armelle Naïve ignore tout des tourments. Loin au-dessus de la mêlée, celle des bd-bobo-cadeau, ça touche, grince, ravit. De cette demi-douzaine là, on en reprendrait bien.

Aujourd'hui n'existe pas. Le titre est dur et précis, les dix nouvelles d'Ancco le sont également. Seules les légères variations du dessin témoignent de sa jeunesse : la bédéiste sud-coréenne a constitué ce recueil en trois ans, à partir de sa vingtième année. Alors, d'une nouvelle à l'autre, au fil de la lecture qui ne correspond pas toujours à la chronologie, le foisonnement des matières tend à l'épure, les espaces vierges d'abord réservés à la peau s'étendent au mur, au bitume. Les têtes se font plus proportionnées, ou les épaules moins fragiles. Et le pinceau disparaît, laissant maîtresse la plume encrée de Chine. Mais ces changements minimes se font oublier tant le ton est singulier, l'univers fort. Sombre. Avec de petits riens — fragments familiaux, école buissonnière, escapade canine —, Ancco décortique les cruautés quotidiennes, d'on nul ne s'exempte, par simple désintérêt, les cruautés quotidiennes qui frappent à la marge. Une grand-mère mange seule tous les soirs, une simple d'esprit fait l'objet de moqueries, une lycéenne « à problème » est battue comme plâtre… Sourd de ces récits une noirceur réaliste, une solitude âpre, et parfois un parfum de regret. Voire d'expiation.

Livres de l'auteur : Anne Baraou - Fanny Dalle Rive