Temps machine

Francois Bon

Temps machine
103 pages
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TEMPS MACHINE

François Bon

Qu’une usine est partout et aujourd’hui toujours comme d’entrer dans une maison d’enfance. Roulement au fond des bruits, l’odeur reconnaissable d’huile chaude, sous les doigts le nylon épais des portes et la lenteur certaine du temps, certitude qu’on est là pour tenir jusqu’au terme du compte.

Qu’on marche dans des rues de ciment sous verrière, qu’on surplombe les aires de chargement et qu’on longe des magasins grillagés où des chariots automatiques viennent chercher au bon endroit les caisses de pièces en sous-traitance. Les petits abris vitrés des contrôles avec la lumière jaune des lampes et plus loin ceux qui finissent la pause, la pointeuse à l’entrée et les affiches de sécurité.

Qu'une usine est une ville ramassée sur elle-même et qui aurait rejeté tout ce qui ne sert pas à ce seul rapport des hommes à leurs mains. Rues sans vitrines mais avec des rails, et des panneaux qui n'indiquent pas une direction au loin (comme on s'en va sur les autoroutes), mais sa propre succession d'organes. Tout au long de la clôture du dehors les portes sont numérotées, il y a le gardien dans sa cahute et l'entrée principale, la plus grande et qui fait honneur n'est pas celle-ci mais celle du fond pour les matières premières où tombent un par un les camions comme mangés avec ce qu'ils apportent.

Onze mille ici sur grand comme huit terrains de foot et soi-même là-dedans une bille ça fait encore douze cents bonshommes sur chaque pelouse, même le nombre divisé par deux pour l'alternance des équipes et ce qui dans la chaleur et l'huile chaude n'arrête ni jour ni nuit : comme ces monstres qui avancent seuls et lourdauds hésitent suivant la piste tracée au sol d'un sillon magnétique. Le tout serré par les rues de la fausse ville, sautant les rues de la vraie pour construire encore bâtiments plus loin et ceux-ci sont plus hauts et brillants, comme jusqu'en plein centre très haut l'usine avait planté son enseigne et sa marque en cinq lettres de néon rouge.

Et que la matière première c'est déjà l'effort d'une autre usine et d'autres hommes enserrés par milliers entre feu et rails, grondement et laminoirs : ce sont, au format de ces meules qu'on fait pour le foin, de lourdes enfilades de rouleaux noirs et encore cerclés de fer plat. Chaque bande épaisse de neuf millimètres et cela percé comme d'un poing pour autant d'étoiles (l'e¬te forme et dimension d'une étoile de mer). La bande ou ce qu'il en reste, armature avec le dessin en creux, sectionnée à mesure pour être renvoyée là-bas à la source dans ces caisses de fer grillagées

où on les ramasse.

Rotation de la matière jusqu'à ce qu'on en fait, boules ramassées des alternateurs dans leurs carters d'aluminium, le courant redressé qui en sortira pour vos voyages. La boule grise reviendra un jour là-bas en fonderie finir, d'où on envoie sur de longs plateaux les rouleaux inanimés mis en perce, l'attente en amont de l'usine des grands trains bâchés arrivés la nuit.

En bout de ligne et à l'origine de tout, la grande presse de mille tonnes et son vacarme principal. Mille tonnes sur l'étoile de mer pour l'extraire d'un coup de la bande écrasée, dépliée et mise à plat puis sectionnée. On a le droit de voir, il y a sur chaque machine des fenêtres de plastique où on met le nez sur le travail qui se fait seul. Nous savions des presses autrefois l'homme par sécurité enchaîné et les poussoirs où on appuyait des deux bras et le tremblement sous les pieds et c'est presque faire honte ou insulte à la matière que le côté hôpital de tout ça, la presse isolée sur son bout de sol, un pied qui tremble et l'autre pas, les capitonnages qui l'enferment avec son bruit, et les poinçons de la découpe, comme on perfore un papier la retombée des étoiles grises.

Étoiles grises dans la succession des presses, celle ensuite de huit cents tonnes et s'apercevoir comment ce sont autant de têtes de chaînes et que le monstre de mille tonnes a des frères et que tout cela dans le vacarme capitonné bat en désordre pour le poinçonnage des rouleaux.

On ne les arrête même pas pour le changement des poinçons, un homme glisse monté sur un plateau de fer au long des rails, s'arrête au niveau des poinçons qu'on retire sans démonter et qu'on remplace par un ensemble pareil, son plateau déjà glisse en sens inverse.

Bizarrerie que c'est de penser à la fabrication par électro-érosion des poinçons et malheureux ceux qui pour marcher leur vie d'homme n'ont pas perdu deux heures une fois pour regarder le travail en bain de l'érosion électrique, la haute tension délivrée dans l'huile isolante la forme découpée sans contact à l'acier dur et le déploiement de telles forces dans une telle immobilité. Mais la fabrication des outils était ici sous-traitée, à réception on contrôlait seulement les poinçons brillants au palmer dans telle cahute isolée du sol et à température constante. Les huit cents tonnes ont déjà le travail plus facile, qui plient les branches des étoiles, e

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