Sous l'imperturbable clarté
Même si largement reconnu dans le monde de la poésie (Prix Apollinaire, Prix Georges Perros, exposition rétrospective à la Bibliothèque de Charleville, chroniqueur éminent de remue.net), Jean- Marie Barnaud (né en 1937) est certes un poète discret, mais il a bâti au fil des décennies, dans la proche parenté de Jaccottet et Bonnefoy, au reste très attentifs à son travail, une oeuvre d'une cohérence et d'une constance rares.
Riche de seize livres tous publiés à Cheyne, cette oeuvre poétique, qui s'est accompagnée de romans et récits chez Gallimard et Deyrolle notamment, est toute entière vouée à formuler les arguments de la beauté subsistante au coeur des incessants démentis et des inévitables cruautés de l'existence individuelle et de l'histoire collective. On y entend d'un bout à l'autre une voix sobre, pudique, d'une bouleversante humanité dans sa retenue même et qui parle d'emblée intimement au lecteur. Le geste littéraire ici est étroitement tributaire d'une exigence éthique sans faille comme la manifestaient un Paul Celan ou un Claude Simon, avec lequel le poète a correspondu.
Le présent volume qui reprend des poèmes extraits de plusieurs des recueils majeurs de l'auteur et qui est préfacé par le poète et critique Alain Freixe, doit permettre de mieux distinguer la voix haute et singulière de Barnaud dans la génération des Noël, Venaille, Bancquart ou Deguy.
"Aurons-nous en ces temps Assez de regard pour tout embrasser Une dernière fois Assez de clairvoyance Pour présider à l'ordonnance du départ Comme un voyageur qui met la clé Sous la porte Et se retourne sur les restes d'un feu Qu'un peu de vent affole Que je vous dise comme je crains La départie Car bien avant que nous soyons dépariés On verra ici et là des craquelures Dans les paysages Et sur la neige Inattendus Des coulures Des cratères d'eau pitoyables Des fêlures grisâtres dans le blanc