Publié quelques mois avant sa mort, le dernier livre de Darwin, Le Rôle des Vers de terre dans la formation de la terre végétale, avec des observations sur leurs habitudes (1881) suscite un enthousiasme tel que ses chiffres de vente dépassent immédiatement celles des premiers tirages de L’Origine des espèces. L’auteur lui-même en est abasourdi. Le problème agricole est peut-être la clé de ce succès inattendu.

Le livre met en lumière l’action majeure de ces animaux dans la durée des temps géologiques : formation, recyclage, affinement, aération et ameublissement de la terre végétale, décomposition des feuilles et formation de l’humus, désagrégation de particules rocheuses, production d’une masse considérable de déjections friables entraînées par les eaux et les vents dominants, enfouissement des corps déposés en surface, protection des vestiges archéologiques.

Il souligne en outre chez eux, par une longue et méticuleuse expérimentation doublée d’observations dans la nature, les indices de comportements intelligents, en particulier dans les procédés de traction des feuilles végétales et d’obturation des galeries.

On retrouve au cœur de ce dernier ouvrage l’intérêt profond de Darwin pour la géologie, source même de sa méthode, car permettant d’appréhender, à partir de l’observation directe de micro-processus en acte, les macro-processus qui, au long des âges, ont façonné par une lente accumulation les modifications du monde.

Ce faisant, Darwin écrit ainsi, à la fois, un livre sur le temps, un ouvrage d’écologie sur l’interaction dynamique des processus physico-chimiques et biologiques, un traité d’éthologie sur les rapports de l’intelligence et de l’instinct, et une méditation matérialiste sur la mort.