Profitons de l'ornithorynque
Comme tous les gens qui ont gardé des vues d’enfants, qui n’ont jamais complètement mûri leur vision des choses du monde au point de la rendre « adulte », Alexandre Vialatte entretient un humour que j’appellerai naturel, et qui provient, toute espièglerie mise à part, d’un décalage constant face au sérieux qui devrait être. Il s’agit d’une écriture en porte à faux pour ce qui est du regard des « grandes personnes », engoncées qu’elles sont dans les mots importants – les mots de la politique, du commerce et de l’industrie. Du reste, je crois que l’humour est d’essence enfantine – en ce qu’il se distingue du « trait d’esprit » cher à nos aïeux et aux représentants-placiers, et destiné à faire étinceler son auteur…Vialatte possède cette incongruité de l’image inaccessible, la ténacité d’un môme inassouvi ; son décalage n’est pas du surréalisme mais tout le contraire : une observation vigilante du réel, à l’œil nu, c'est-à-dire libérée du pesant des habitudes. C’est là ce qui le rend si récupérable aujourd’hui par les jeunes générations – et pour combien de temps ?
(Quatrième de couverture, Julliard 1991)