Nous qui restons vivants
Longtemps, Sacha et moi avions été inséparables. Nous nous étions choisis pour grandir ensemble. C’était il y a quinze ans. De cette période, il ne me reste plus que quelques visages aux contours flous : mes parents adoptifs, qui s’occupaient si peu de moi ; Vadim, le père de Sacha, un colosse, un écrivain, qui croyait être l’éminence grise d’une mairie communiste ; Olga, la mère de Sacha, universitaire issue d’une famille de Russes blancs ; quelques amis, que j’avais cessé de fréquenter. J’avais cherché à enfouir ces souvenirs pour refaire ma vie, renaître ailleurs. J’habitais désormais avec Maïa et mon fils Ilias. J’avais un métier que je ne comprenais pas, effectuant des tâches dénuées de sens, sous les ordres de celui qu’on surnommait le Caporal. Je ne parlais plus à personne. En quelque sorte, j’avais réussi à m’arracher à mon passé et à faire de mes journées une surface lisse, sans événements et sans émotion.
Pourtant, ce matin-là, quand Maïa me tira de mon lit à l’aube et me chassa sans que je sache de quel crime j’étais coupable, je sus que cette journée ne serait pas comme les autres. Vadim, Olga et Sacha allaient revenir dans ma vie, de la plus étrange des façons.