Les enfants du silence.
Ils ont aujourd'hui entre 65 et 87 ans. Ils faisaient partie des 72 000 enfants d'origine juive présents sur le sol français en 1939. Parce qu'ils eurent la chance d'être cachés, ils échappèrent au sort de leurs camarades qui furent livrés à l'Allemagne nazie par les autorités de Vichy à partir de 1941 et qu'on ne revit plus. De leur enfance, ils ont gardé une mémoire nette et précise. Par les détails qu'ils évoquent et les anecdotes qu'ils racontent, l'émotion, la leur mais aussi la nôtre, est partiellement contenue. La pudeur n'est pas ici affaire de tact mais de distance vitale sans laquelle les événements relatés condamneraient au mutisme. Envisagé sous l'angle de ses circonstances matérielles, le moment le plus insoutenable, celui de l'arrestation des parents ou de sa nouvelle, peut s'entendre comme un événement terrible de l'enfance : "Je ne sais pas s'il pleuvait, je ne sais pas si je pleurais ; je sais que tout était mouillé. La pluie, les larmes, je n'en sais rien". En réalité, tout s'est arrêté là. Après, il a fallu accepter une existence qui avait brutalement perdu son évidence et sa force d'entraînement. Solitude, détresse, indignation, agressivité parfois contre ceux-là même qui vous ont « abandonnés », culpabilité ? : il fallait désormais survivre avec tout cela au fond de l'âme. Avec la seule chaleur du soleil pour revenir à la vie. La mort, ils n'y ont pas échappé : ils l'ont traversée. Leur éprouvant témoignage est l'occasion de faire entrer quelque chose de leur histoire dans notre chair. Pour qu'y pleuvent aussi les mots de leurs récits et que leur mémoire puisse devenir la nôtre. --Emilio Balturi