Les corps conducteurs
Pour la collection « Les Sentiers de la création » (Éditions Skira), Claude Simon composa, en 1970, Orion aveugle, qu'il reprit et développa ensuite dans Les Corps conducteurs. Un fragment de ce roman, « Propriété des rectangles », différent du texte définitif, parut dans le numéro 44 de Tel Quel en 1971.
« Dans l'enfer bruyant, minéral et brouillardeux d’une cité américaine, un homme malade remonte une avenue. Sa progression pénible lui impose maints arrêts, pendant lesquels son regard se pose sur le monde environnant (vitrines, bouche d’incendie, téléphone public, affiches...). Un homme malade se rend chez un médecin ; après une longue attente angoissée, il entre dans le cabinet où le praticien l’ausculte et lui découvre une douleur aiguë à l’abdomen. Le regard du patient se pose sur le monde environnant (mobilier, photographie). Le contexte favorise des descriptions anatomiques et physiologiques, comme dans une scène où un couple d’amants s’aime, la nuit, répétant les gestes et les pauses lisibles dans la constellation d’Orion. Un voyageur, de l’avion qui le mène en Amérique centrale, regarde l’espace environnant. Est-ce le même homme qui, malade, assiste à un congrès d’écrivains, que l’on retrouve à une table ronde, et qui observe, dans des journaux, les annonces de programmes de cinéma ? Des guérilleros, jaillis de ces photographies, marchent péniblement dans la forêt tropicale et répètent l’aventure tragique des conquistadores sortis d’un timbre-poste. Un homme visite un musée, voit le Chahut de Seurat et le Paysage avec Orion de Nicolas Poussin, Le géant aveugle, d’une marche pénible, s’avance vers le soleil levant. Un à un, les conquistadores et les guérilleros meurent, les orateurs s’endorment ; les amants se séparent ; Orion n’atteint pas la lumière du soleil levant ; l’homme malade rejoint sa chambre d’hôtel et s’effondre, inanimé.