Le questionnaire
Le QuestionnaireE.von Salomon d’Ernst von Salomon : il y a dix ans ce livre m’avait enthousiasmé ; aujourd’hui, il me désole à maints égards. L’activisme féroce du temps de crise, lorsque le pouvoir politique déliquescent n’opposait que peu de résistance aux flèches de la jeunesse, le cède à une passivité totale quand la tyrannie la plus noire a jeté son ombre sur des consciences qui se voulaient libres, dans un style ombrageux et altier, aristocratiques pour tout dire.
Combien les esprits forts, doués de surcroît d’une puissance d’analyse et d’une inventivité rares, peuvent s’aveugler sur le sens du combat à mener, combien la tradition et la révolution peuvent trahir leurs idéaux respectifs et vouer à l’impuissance leurs combattants par des calculs d’épicier digne du bourgeois honni, l’Allemagne de Weimar, et surtout ses adversaires, nous en donnent l’exemple. Pouvait-il seulement en être autrement ? Etait-il possible d’échapper à l’impasse où le nazisme conduisait nationalistes et communistes par un jeu savamment orchestré ?
Fatalement les mots et les slogans, les livres et les concepts, l’idéal, son devoir-être et sa mauvaise conscience, devaient avoir le dessous dans leur combat contre le conformisme, la paresse et les frustrations adossés à la brutalité et à la vulgarité des gros bataillons de croyants. Les chemises brunes occupaient le pavé et s’en prenaient aux plus faibles…
Quant à la politique et à la lutte pour le pouvoir, les urnes ont aisément pallié les risques dune révolution où le petit bourgeois aurait joué sa chemise. La vraie rupture avec la démocratie, le renoncement à la liberté passaient par le peuple et le jeu des mécanismes électoraux : cette erreur d’appréciation de la révolution dite « conservatrice », son isolement hautain et son élitisme pompeux, lui ont coûté, sinon la vie, du moins toute sa crédibilité.
Comment ne pas croire, en effet, que ces hommes n’ont pas préparé, par leur action continue et l’agitation des esprits qu’ils ont menée à son terme fatal, l’avènement d’Hitler ? A leur corps défendant peut-être, mais en affaiblissant Weimar, ils ont bel et bien jeté l’Allemagne, sa civilisation et son histoire, dans les bras d’un Raspoutine et d’une église d’assassins aux slogans besogneux et à la démagogie rampante. Certes, ont-ils préservé pour la plupart leur intégrité morale et physique ; certes, ont-ils fait souvent preuve de courage ; certes…