Le desir
On était debout dans la cour au garde-à-vous, alignés en carré comme des cons à chanter "Maréchal nous voilà" :
"Maréchal nous voilà
Devant toi le sauveur de la France..."
On grelottait. Le vent glacé plaquait sur nos blouses trouées d'encre de tourbillonnantes torsades de feuilles mortes. J'avais dix ans. C'était la guerre. Je n'étais que désir. Avide de l'instant à vivre, j'avais très peu l'intelligence de la chose vécue. Quand il m'arrivait de comprendre, l'événement était hors d'atteinte. De ce décalage, j'éprouvais dans ma relation au temps un déconcertant sentiment d'irréalité. Le temps pour moi n'était jamais à l'heure.
Trop tôt, trop tard, en porte-à-faux toujours.
Comme le désir.
Mais qui comprend le désir ?
Et qui comprend le temps ?