Le Théoriste
A l'âge de dix ans, l'enfant à la guirlande de deux mille six cent trente-trois trombones s'apercevait, devant une image du passé, qu'il n'avait pas de mémoire. L'adulte, le même, n'en finit pas de remettre sur le métier les bribes de fantasmagoriques souvenirs qui lui restent d'alors. Et l'enfant et l'adulte cherchent à reconstituer le protocole de l'expérience dont il aurait été le sujet, expérience menée par un éthologiste de génie de père. Pour son cinquième roman Yves Pagès mêle constructions labyrinthiques (parcours de souris de laboratoire, dédale de couloirs domestiques), chausse-trappes (mémoire parcellaire et trompes l'œil), variations presque lettristes et classifications protéiformes. Le style du narrateur, le "théoriste", est à la hauteur. Travaillé jusqu'à sembler naturel : "Personne ne s'en étant aperçu, je me sentais obliger de me diagnostiquer tout seul." Pourtant, le plus intrigant, et par là le plus retors, de ce roman combinatoire à souhait est de laisser cours au sensible. Un cours parallèle qui rend l'atmosphère d'une adolescence, les traits d'un quartier (les Halles) et la mémoire des seventies. --Bertrand Gosselin