Le Double Rimbaud . René Leys
Extrait :
On sait comment Arthur Rimbaud, poète irrécusable entre sa quinzième et sa dix-neuvième année, se tut brusquement en pleine verve, courut le monde, fit du négoce et de l'exploration, se refusa de loin à ce renom d'artiste qui le sollicitait, et mourut à trente-sept ans après d'énormes labeurs inutiles. Cette vie de Rimbaud, l'incohérence éclate, semble-t-il, entre ses deux états. Sans doute, le poète s'était déjà, par d'admirables divagations aux routes de l'esprit, montré le précurseur du vagabond inlassable qui prévalut ensuite. Mais celui-ci désavoua l'autre et s'interdit toute littérature. Quel fut, des deux, le vrai ? Quoi de commun entre eux ? Pouvait-on, les affaires bâclées et fortune faite, espérer une floraison, un achèvement ou un renouveau des facultés créatrices ? Cela reste inquiétant de duplicité.
§
Poète, Rimbaud le fut absolument, péremptoirement. On ne peut rien conclure de pièces de collège comme les Étrennes des orphelins, où la note pathétique pleurniche sur un mode cher à François Coppée :
Votre c?ur l'a compris, ces enfants sont sans mère.
Plus de mère au logis, et le père est bien loin !?
mais déjà le désir de l'en-allée incertaine surgit :
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, ? heureux comme avec une femme.
Puis un beau souffle païen s'élève dans Soleil et Chair :
Je crois en toi, je crois en toi, divine mère,
Aphrodite marine ! ? Oh ! la roule est amère,
Depuis que l'autre dieu nous attelle à sa croix?
?Et l'idole où tu mis tant de virginité,
Où tu divinisas notre argile, la Femme?
La femme ne sait plus même être courtisane !