Exhibitions : L'invention du sauvage
L’Occident a inventé le “sauvage”. Ce fut un immense spectacle, avec ses figurants, ses décors, ses impresarios, ses drames et ses récits incroyables. C’est une histoire oubliée. Elle est pourtant au carrefour de l’histoire coloniale, de l’histoire de la science et du monde du spectacle et des grandioses expositions qui ont façonné le monde pendant plus d’un siècle. Ce fut le temps des exhibitions humaines et du “racisme scientifique”, un temps où des hommes venaient voir des “monstres” ou des “exotiques”, non pas pour ce qu’ils font, mais pour ce qu’ils sont censés être. Ces exhibitions populaires ont produit des multitudes d’images pour convaincre les visiteurs et fasciner les publics. À l’occasion d’une exposition-événement au musée du quai Branly, ce livre-anthologie en montre les traces, grâce à quelque cinq cents documents eÎptionnels issus de collections publiques et privées – pour la plupart inédits –, accompagnés des analyses de soixante-dix spécialistes internationaux.
Ainsi, au fil de douze chapitres divisés en trois parties, le lecteur entre dans l’histoire des zoos humains. Avec plus d’un milliard de visiteurs et des dizaines de milliers d’exhibés, ce phénomène international, qui commence au xvie siècle et connaît son apogée dans le premier tiers du xxe siècle, accompagne la mise en place des empires et touche les peuples aux quatre coins de la planète, fabriquant un modèle unique du “sauvage”, sorte de mondialisation avant l’heure, de Tokyo à Hambourg, de Chicago à Londres, de Paris à Barcelone, de Bâle à Johannesburg… À travers ce passé oublié, dont il reste des milliers de témoignages, on mesure de quelle façon l’idée de domination s’est généralisée et a imprégné le monde sur un temps relativement court.
Cet ouvrage explore les frontières parfois ténues entre “exotiques” et “monstres”, science et voyeurisme, exhibition et spectacle, et questionne le lecteur sur ses propres représentations dans le monde d’aujourd’hui. Si ces exhibitions disparaissent au cours des années 1930, elles auront largement accompli leur oeuvre – bâtir deux humanités –, et nous commençons à peine à comprendre la puissance de ce qui n’était alors que de la curiosité