De tes yeux, tu me vis
En un lieu non précisé – on imagine que c’est en Islande, à moins qu’il ne s’agisse d’un de ces non-lieux qu’on rencontre dans certains textes de théâtre moderne – un narrateur raconte à son amie l’histoire de son père, un Juif allemand, échappé d’un camp de concentration et rattrapé par deux individus dont on ignore la qualité et les motivations, mais qui souhaitent manifestement découvrir un secret dont ils le croient détenteur.
Cet homme dont on ne connaît pas le nom est déposé par les deux individus dans le cellier d’une pension de famille et sera sauvé par les occupants de l’établissement. A l’intérieur d’un espace dissimulé entre les cloisons de deux chambres, celui que tous les autres personnages appellent le malheureux va vivre quelques jours seul à seul en compagnie de Marie-Sophie, une jeune femme chargée de le soigner et ils vont fabriquer ensemble un enfant d’argile qui deviendra le narrateur.
Le lecteur fait graduellement connaissance avec les habitants du village et ceux de la pension Vrieslander : un serveur, une cuisinière, un patron alcoolique et sa femme matrone, un commis adolescent et taraudé par le désir, un vieillard concupiscent, le petit ami de Marie-Sophie. Parallèlement, Sjn nous emporte dans d’autres histoires : il mêle à cette trame historique des récits populaires, des contes rédigés sur un mode parodique, il y intègre le relevé des rêves des habitants de la petite ville de Kukenstadt dont il retrace les origines pseudo-mythiques avec beaucoup d’humour, des textes aux résonances bibliques, des chansons, des histoires d’anges, d’archanges et d’anges déchus, des parodies de psaumes...
Le sujet est grave. Nous sommes plongés dans l’atmosphère de l’Allemagne nazie : nous reconnaissons certains personnages historiques sans qu’ils soient directement nommés, nous naviguons entre les références picturales à l’art dégénéré , celles cinématographiques à M le Maudit de Fritz Lang, celle, biblique, au mythe du golem : tout cela est suggéré, jamais nommé.