- Ne t'inquiète pas pour moi...

Tout ira bien.

- Tu disais cela aussi quand j'étais petite...

Et regarde.

«DORS, MON PETIT.

LA MORT EST NOIRE ET CHAUDE»

David a quatre femmes dans sa vie : une épouse, deux filles et une petite-fille. Quatre femmes, et depuis ce matin, depuis la première planche, un cancer ! Une tumeur supra-glottique de type T3N2M0. Un cancer du larynx qui ne lui a pas encore coûté ses cordes vocales, mais qui le laisse déjà sans voix : David va taire sa maladie, mentir sur sa douleur et tenter d'affronter seul le délitement. David va faire face au cancer, mais les femmes de sa vie feront face à son silence. Et la vie va suivre son cours. Jusqu'à l'inexorable. Jusqu'à ce roman graphique qui nous bouleversera tous.

Le nouveau roman graphique de la Bruxelloise Judith Vanistendael est une somme (272 planches réalisées entièrement à l'aquarelle !) et un chef-d'oeuvre : jamais la maladie n'a été traitée de la sorte, sans fausse pudeur et sous une telle forme osant mêler l'intime, le poétique et le médical, dans un pur travail d'auteure. Judith Vanistendael fait aussi honneur à la célèbre famille d'écrivains flamands dont elle est issue : l'incroyable maturité de sa narration impressionne de page en page pour atteindre des sommets d'émotion. L'auteure ne s'en cache pas, elle a fait de sa vie un des moteurs de sa création. L'intime rejoint ainsi l'universel sur un sujet (la maladie, la mort et les silences qui les accompagnent) qui, forcément, nous concerne tous. Ce roman sera sans doute l'une des lectures les plus émouvantes de l'année, pas larmoyante pour autant. Dans «David les Femmes et la Mort», le tragique côtoie le beau et même une chambre stérile peut être entourée d'évasions oniriques et de rires d'enfants. Avec cette oeuvre sur la mort, Judith Vaninstendael nous donne surtout une magnifique leçon de vie.

INTERVIEW DE L'AUTEUR

«JE VOULAIS RACONTER L'IMPUISSANCE FACE À LA MORT»

Dans votre première oeuvre, «La jeune Fille et le Nègre», vous puisiez dans votre vie pour raconter des histoires. Est-ce encore le cas, cette fois-ci ?

Mon beau-père est mort d'un cancer de la gorge. Mais, ce n'est pas son histoire et ce n'est pas une autobiographie. Je voulais raconter ce moment dans la vie, cette impuissance que l'on ressent tous, un jour, face à la mort. C'est aussi un livre sur le silence. Ce fut un processus très douloureux car la réalité m'a rattrapée : un proche a également été touché pendant l'écriture du roman. Toute cette réalité a bien sûr nourri la fiction, t'ambiance d'une chambre stérile par exemple, je la connais.

Après une oeuvre en noir et blanc, vous vous attaquez à la couleur. Et de quelle manière : tout à l'aquarelle !

La couleur était ici vraiment très importante. J'ai donc marché jusqu'à Saint-Jacques de Compostelle en m'obligeant à réaliser une aquarelle par jour, sans eÎption, pour travailler et effectuer des recherches : les émotions sont ici primordiales et ce sont les couleurs qui les procurent. Je voulais aussi rester très directe dans la réalisation des dessins, très spontanée. Je voulais que l'émotion passe immédiatement de mon cerveau à la planche.

Il y a ici des scènes de rêve, de vie quotidienne, mais aussi de réalité brutale. Dans le parcours de David et sa fin, vous n'esquivez pas le sujet de l'euthanasie..

C'est, je pense, un moment nécessaire pour le récit, mais ce n'est pas un engagement. Je ne suis pas sur les barricades, je ne suis pas une militante obligée de décréter ce qui est blanc et ce qui est noir. Je suis une artiste et je peux vivre dans une infinité de nuances de gris. J'aime la subtilité des vérités.

Après ce livre, vous avez moins peur de la mort ?

Je ne pense pas. Non, j'ai toujours peur, mais j'accepte ma peur. La plupart des gens cachent leur sentiment et leur effroi face aux douleurs intolérables. Je crois au contraire qu'affronter, accepter et verbaliser ce que l'on ressent, permet de s'en extraire...