Chère madame ma fille cadette
Mon père était auteur dramatique. Personne, à part cela, ne peut dire vraiment qui il était : célèbre et inconnu, pauvre et riche, sinistre et rigolo, inoccupé et sur-occupé, glorieux et misérable, humble et matamore, bon et très méchant, passif et violemment révolutionnaire, doux et agressif, amusant et désespérant, plein d'amour et parfois vachard...
A force de pudeur et de secret il a brouillé les pistes jusque dans l’œuvre multiforme et inclassable qu'il a laissée. Ce n'est donc qu'un fragment de l'homme encore , qu'on trouvera ici : celui que mes propres difficultés d'être, entre onze et vingt ans, ont conduit à m'écrire de nuit, au sein de la famille, six lettres déposées avant l'aube sous la brosse à cheveux de la salle de bains - et l'homme de quelques autres lettres aussi...
Lui-même, à cette époque, n'allait pas très bien. Mais perçoit-on, lorsqu'on est occupé à grandir, toutes les saisons d'un père ? Alors qu'il avait commencé à se taire - au sens où l'on parle du silence d'un auteur - il s'est fait que j'ai commencé à écrire...
Je jure que je ne savais pas ce que je faisais. Il s'est joué là pour moi, à bas bruit sur un air de destin, un incompréhensible tour de passe-passe. A travers cette radiographie d'une famille à l'heure des métamorphoses nécessaires, je tente de comprendre.