Mon livre surprise

Les souffleurs

Cecile Ladjali

Les souffleurs
160 pages
Popularité
Popularité du livre : faible
Notes
Note globale
★★★★★
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2.27
Note personnelle
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Deux têtes coupées (les souffleurs), deux jumeaux incestueux, un palais vénitien aux pieds palmés, un comte amateur d'absinthe, un majordome (toujours) précédé de ses ganta blancs, un bonnet de bain rose et un seul théâtre pour deux représentations rivales : Shakespeare et Racine en ébullition. "Une pensée doit être étrange comme la ruine d'un sourire." Cioran Il faut admettre d'entrée de jeu qu'une tête sans corps peut être un personnage à part entière et évoluer à travers les pages du roman dans une valise en osier sans que l'on se retourne sur elle, effrayé. Candice et Nathan - frère et sueur séparés depuis des années parce qu'ils se sont aimés une nuit de leurs quinze ans -, devenus tous deux directeurs de troupe théâtrales, se retrouvent en résidence à Venise au Palais d'O, pour la création et la représentation de leurs pièces. Ces deux compagnies ont une particularité étonnante : le souffleur et la souffleuse sont des têtes. Rien que des têtes. Candice et Nathan sont surtout des corps. Parfois même rien que 'des corps. Le souffleur travaille Britannicus avec Nathan, spécialiste du répertoire classique français. La souffleuse créant, quant à elle, Othello de Shakespeare avec la troupe de Candice. L'action qui se passe à Venise permet une première joute d'ordre esthétique. Le souffle français, académique, classique, va rencontrer le souffle baroque et insolent du théâtre élisabéthain. Au sein de ce spectacle fabuleux se joue la confusion finale entre les souffleurs et, grâce à leur génie, entre Racine et Shakespeare. Mais au fil des répétitions, le livre est aussi le théâtre de deux amours : le souffleur s'éprend de la souffleuse ; le frère et la sueur retombent dans les bras l'un de l'autre, ne pouvant échapper à la chair. En écrivant ce roman, Cécile Ladjali a voulu répondre à son ami George Steiner qui, lors d'une conférence sur Shakespeare à Paris, avait signifié, devant un parterre d'universitaires, que le souffle du dramaturge anglais était incompatible avec l'esprit français et une certaine morgue. Les Souffleurs récrit ainsi deux partitions (Britannicus et Othello) et concilie deux styles. Venise est son décor, où tout fond comme un sucre dans l'eau, tout s'étiole. La ville est une cité de vase, saturée par la couleur verte. Le glauque investit tout : les visages, l'eau des aquariums et des baignoires, la lagune, les verres d'absinthe que l'on vide à outrance. Parfois petit théâtre de la cruauté, ce roman aux couleurs fantastiques et aux accents baroques est aussi une formidable parabole : le souffleur et la souffleuse sont les représentants de l'esprit des oeuvres, ils incarnent l'inspiration et narguent Candice et Nathan, pauvres interprètes et exégètes incapables de créer, manquant cruellement de souffle et du génie qui lui est consubstantiel. Les Souffleurs porte en lui la comédie de l'imposture, la vanité des artistes médiocres qui volent les images et auxquels on a soufflé les mots.

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