Mon livre surprise
Les aventure potageres du Du Concombre Masque
Le 1er avril 1965, "Les aventures potagères du concombre masqué" firent leur apparition dans l'hebdomadaire "PIF". Or donc, apparut le concombre tandis que pour la plupart des gens la terre continuait de tourner comme auparavant ; ce fut, pour une poignée de privilégiés, la révélation d'un humour différent, irrationnel et explosif: le "nonsense" (1).
... Bien sûr, le genre avait déjà ses classiques (2), mais nous vivons dans un pays qui se vante de son cartésianisme imbécile et bannit l'absurde (3) et je connais un certain nombre d'amateurs qui depuis ont tout lu, tout vu ou presque de ce qui a rapport avec le nonsense et pour qui cela commença, dans leur adolescence, avec la découverte des "Aventures potagères du concombre masqué". Pour Nikita Mandryka, créateur du concombre, il fallut également un "déclencheur" autre que les grands classiques : ce fut dans "PIF" le "Copyright" de Jean-Claude Forest qu'il n'est pas interdit de considérer comme la première mouture du concombre.
Il me reste à avertir ceux qui découvrirent cette bande beaucoup plus tard, dans "PILOTE", parce que l'auteur a vieilli, parce que les deux journaux sont différents, et pour des tas d'autres raisons, qu'ils risquent de ne pas reconnaître leur concombre (4) ; qu'ils regardent bien, les détails changent mais c'est au fond la même chose (5) pour notre plus grand plaisir.
Jean-Pierre DIONNET
P.S. Et surtout que l'on n'aille pas tenter de désamorcer le nonsense en voulant y voir des symboles à décrypter ; comme dit Humpty Dumpty dans "Alice au pays des merveilles" : "Si j'avais voulu dire ça, je l'aurais dit".
(1) A ce propos, je ne peux que vous renvoyer aux écrits théoriques et anthologiques que Robert Benayoun a consacré au nonsense. Disons qu 'il s'agit d'une forme d'humour basée sur une logique de l'absurde qui naquit plus ou moins avec les "nursery rhymes", qui atteignit son point culminant, littéraire et graphique au l9ème siècle avec Edward Lear et Lewis Carrol et qui a d 'innombrables prolongations dans ce siècle au cinéma et dans le dessin animé: Tex Avery, W.C. Fields, les Marx Brothers, etc. - . Dans la littérature : Ionesco, Vian, etc... Dans l'illustration: W.H. Robinson & Co et bien sûr dans la bande dessinée: Little Nemo, Krazy Kat, Popeye, etc...
(2) L'affiliation du concombre au genre est explicitement soulignée par l'auteur : regardez la 22ème planche où l'on découvre la bibliothèque du légumineux justicier : Popeye, Edward Lear, Krazy Kat, Harpo Marx, Lewis Carrol et le Copyright de Jean Claude Forest.
(3) Avoir choisi la France pour créer le concombre, voilà sans doute le plus bel acte nonsensique possible!
(4) Il était dolicocéphale, gras, avec une petite queue et portait un loup de velours ; il a maigri, il n'est plus dolicocéphale, il n'a plus de queue et il est coiffé d'une cagoule. Il en est de même pour ce qui l'entoure: les personnages humains ont cédé la place à de plus improbables partenaires, par exemple le soleil ; la forêt profonde est devenue désert du bout du monde. Le concombre écorche toujours les mots mais son expression favorite n'est plus "vazyléon" mais "bretzel liquide" ou "Rhône Poulenc". Et bien sûr la mise en page et le dessin ont suivi cette évolution, se rapprochant de plus en plus d'un certain graphisme underground US, dont Mandryka a découvert l'existence après coup: l'inévitable comparaison de Crumb et de Mandryka ne mène nulle part; regardez les dates : ils ont fait la même chose en même temps.